Comme souvent les projets les plus beaux naissent d’une intelligence partagée entre les différents acteurs de leur réalisation, de la programmation jusqu’au chantier. Chacun ici investi d’une mission plurielle : construire au plus près des logiques vitruviennes, questionner l’habiter, rendre l’espace urbain à ses habitants. Et d’un site, dont il s’agit d’ « imaginer l’évidence » pour reprendre les mots du maître portugais.
Structure vertueuse
C’est ici à Versailles, lieu idéal pour tout constructeur attaché à l’histoire et ses palimpsestes, que vient d’être livrée cette opération mixte. Quant à la rencontre c’est celle du maire de la ville François de Mazières dont on sait l’appétence pour la cause architecturale et urbaine, et des architectes Denis Eliet et Laurent Lehmann, guidés tous deux par l’utilisation juste de la matière. Fidèles à leurs principes d’efficacité constructive, les deux architectes associés depuis plus de vingt ans ont endossé ici le double rôle de maître d’œuvre et de maître d’ouvrage, à la façon de quelques figures de l’architecture moderne dont ils se revendiquent.
Ce montage leur a permis d’ « assumer les arbitrages qui trop souvent échappent aux architectes », mais aussi d’économiser les frais de commercialisation et de privilégier encore et toujours la construction. Si Laurent Lehmann cite Philippe Panerai dans son ouvrage « Versailles, lecture d’une ville » (1978), c’est que lui aussi regrette la disparition de tout un pan -économique et descriptif- du métier, qu’il décide alors d’assumer pleinement. La boucle est bouclée et l’entité ainsi formée sous le nom de E&L promotion fait la démonstration de ce qu’un projet peut être face aux besoins constructifs de pérennité, et aux enjeux urbains contemporains : la densité, la mixité, et le plaisir d’habiter.
Une urbanité retrouvée
On est ici dans le quartier des Chantiers à Versailles, à proximité de la gare. Ce terrain -où se trouvait un ancien Ehpad amianté et suivant un plan proliférant-, fait l’objet d’un appel d’offre de charge foncière avec concours d’architecture, la ville de Versailles (dans le cadre de son projet de renouvellement des quartiers de la gare), souhaitant céder le site. Le programme comprend alors la démolition de l’ouvrage existant dont les architectes eux-mêmes -pourtant spécialisés dans la réhabilitation de programmes de logement collectif moderne-, ne reconnaissent aucune qualité. S’ajoutent la construction de 60 logements (dont 32 en accession libre et 19 logements sociaux), une maison de santé, un local d’activité et deux plateaux de bureaux.
Denis Eliet et Laurent Lehmann remportent le concours, proposant, au lieu de l’impasse existante, la création d’un large mail dégageant une perspective ouverte et végétalisée. De là, une allée rejoint l’Ehpad voisin, celui-ci bien opérationnel et jusque-là totalement enclavé. Le nouveau plan qui se revendique ainsi de la rue, place les nouveaux immeubles en alignement côté est avec un édifice tertiaire existant. Il permet aussi l’implantation à l‘ouest de jardins privatifs pour desservir des logements en rez-de-chaussée, pensés comme des maisons de ville. Au bout du mail central, un emmarchement monumental permet de rejoindre le chemin piéton longeant les voies ferrées en contrebas, participant enfin à rendre au quartier les qualités urbaines qui lui manquaient.
Matière forte
Cette première livraison de E&L promotion (un second programme, les Echoppes-Bastide à Bordeaux, est en cours d’achèvement), s’appuie sur la spécialisation déjà effective de l’agence dans la construction en pierre massive porteuse. Une technique que les architectes ont en effet appris à maîtriser lors d’une première opération à Bry-sur-Marne (94), magnifiant la matière dans ce qu’elle a de plus noble. Produire en amont, pour une mise en commande en avance de la pierre, est un « avantage de plus à être promoteur ». Ainsi les deux immeubles -accession et sociaux- partagent ici le même vocabulaire, l’un traversant et l’autre mono-orienté. Une matérialité rassurante émane de la pierre massive porteuse employée sur toutes les façades, découpée selon les contraintes des carrières pour éviter toute perte de matière.
Les intérieurs bénéficient de cette même atmosphère luxueuse : sols en comblanchien dans les halls d’entrée et dessin du mobilier habillé de chêne massif, parois vitrées sur les paliers. Une impression de confort qui se prolonge dans les logements dont les plans sont simples et rationnels et les hauteurs s’élèvent jusqu’à 2,70m, et où une chappe chauffante basse température fait disparaître les corps de chauffe.
Côté logements sociaux, les baies vitrées toute hauteur (dont les menuiseries en bois sont fabriquées dans le Jura) s’ouvrent sur des loggias munies d’appuis en pierre marbrière. Pérennité encore, et simplicité d’usage pour les propriétaires avec ces dispositifs passifs permettant de gérer les problèmes d’éclairement estival. Des rangements extérieurs englobent dans chaque loggia les descentes d’eaux pluviales et habillent les retours en pierre.
Coté logements en accession libre, des ouvertures verticales avec des volets battants animent les façades sur le mail central, et les logements traversants gagnent en hauteur, avec des loggias côté jardins plus profondes, alors que les terrasses s’échelonnent pour récupérer de l’ensoleillement. Au rez-de-chaussée, les toitures des logements conçus telles des maisons de ville, prennent la forme de sheds et libèrent un espace intérieur haut de plus de 3 mètres.
« La construction en pierre est rationnelle et efficace. Par sa masse et la lisibilité de sa mise en œuvre, la pierre massive donne une présence matérielle évidente aux bâtiments. La forme générale, la structure et la finition de l’enveloppe forment un tout parfaitement compréhensible. La logique de modularité et d’empilement conduit à une architecture simple » selon Laurent Lehmann. Simple et maîtrisée de bout en bout.
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Les Allées Providence
60 logements, 1 maison de santé, 1 local commercial, 2 plateaux de bureaux
Maître d’ouvrage : E&L Promotion
Maître d’œuvre : Eliet & Lehmann architectes
Architectes d’intérieur : Eliet & Lehmann architectes
Surface : 5 710 m²
Coût : 12,5 M€ HT
Gros-œuvre : Firodi
Panneaux de façade : JCA (pierre massive porteuse)
Charpente métallique : EZI
Crédit photo : Sergio Grazia