AccueilArchitectureTribunesLa réhabilitation, acte architectural d'intérêt public

La réhabilitation, acte architectural d’intérêt public

Le 22 septembre dernier, à la Maison de l’architecture à Paris, le Syndicat de l’architecture plaidait à nouveau pour une inscription de la réhabilitation dans la loi sur l’architecture. Il a fait appel pour défendre la cause à Fabien Gantois, président de l’Ordre des architectes IDF, Pablo Katz, président de l’Académie d’Architecture, Marion Waller, directrice du Pavillon de l’Arsenal, ainsi qu’à Laurent Lehmann, architecte associé de l’agence eliet&lehmann architectes, et Christelle Gautreau, architecte associée de l’agence Bond Society.

A l’heure de la ville frugale, alors que le foncier et la matière deviennent des ressources rares, l’existant apparaît d’ores et déjà comme une matière première essentielle dans la fabrication et l’évolution des villes. Dans ce contexte, la réhabilitation relève de toute évidence de l’intérêt public, et il est de fait urgent de l’inscrire dans la loi de 1977.
Hugo Franck, président du Syndicat de l’architecture, rappelait cette réalité impérieuse dans son édito de printemps : « A l’heure où les bilans carbone et énergétiques de nos actions humaines doivent être optimisés pour que les fonctions vitales des écosystèmes ne soient pas plus altérées, la production architecturale, et plus particulièrement l’acte de construire, se doit d’être interrogé en permanence et mis en perspective avec la possibilité de réemployer ce qui existe. Les ressources bâties à notre disposition doivent être exploitées de manière plus soutenue afin de générer de nouveaux modèles de fabrication ou d’évolution des villes, loin des processus systématisés par les lobbies de la construction ou par des politiques territoriales d’un an. Entre-temps la rénovation, la transformation, la mutation, l’hybridation et plus généralement la réutilisation ou la réhabilitation des bâtiments existants, font partie des modèles que nous devons encourager et qui doivent se démocratiser. Il serait ainsi temps d’inscrire la réhabilitation dans la loi de 1977, l’intérêt public de l’architecture ne se limitant pas aux seules constructions neuves, mais bien à l’évolution globale du cadre bâti et du cadre de vie. » *
*Extrait du journal du Syndicat n°42


La réhabilitation, un acte d’architecture

Faut-il rappeler que les architectes sont, de par leur formation, attentifs au déjà-là. Philippe Prost, architecte diplômé de l’école de Chaillot, Grand Prix d’architecture 2022, insistait en début d’année dans un article au Moniteur (“Adapter et modifier, on sait faire”) sur le rôle de l’architecte dans cette stratégie : « Transformer une maison, surélever un bâtiment, créer de nouveaux percements, c’est le propre de l’Architecture et c’est de la création ». Exarcerbées en cette période d’urgence écologique, les stratégies de réemploi, le recours aux filières et matériaux locaux d’économie circulaire qui se trament sur tout le territoire, les multiples initiatives de réutilisation de l’existant ainsi que les diverses injonctions émises sous différentes formes, montrent bien que la réhabilitation est l’initiative de la maîtrise d’œuvre. Mais encore faut-il que la réglementation évolue vers un recours systématique à l’architecte, jusque dans des configurations de travaux qui ne nécessitent pas de dépôt de permis de construire. Or force est de constater que les interventions sur existant dégradé sont encore trop souvent conduites sans qu’aucun architecte ne soit consulté. Philippe Prost de souligner les écueils des « démarches de rénovation massive, avec des façades prêtes à coller »…

On aurait pu penser que les nouvelles orientations réglementaires concernant les rénovations thermiques joueraient en faveur des rénovations globales performantes, encourageant le client privé à recourir à un professionnel pour sa vision globale des actions à mener sur un bâti ancien. Lucide, le syndicat de l’architecture suggère ici que “toute opération qui bénéficierait de défiscalisation, de subventions, de prêts à taux bonifiés, implique le recours systématique au conseil d’un architecte” en ajoutant : “il convient qu’il dispose d’une rémunération suffisante pour effectuer un diagnostic sérieux, puis les bons choix quant aux bouquets de travaux et qu’ils puissent mettre en œuvre une stratégie de rénovation à conduire sur plusieurs tranches annuelles. » Philippe Prost lui aussi insistait : « la matière grise coûte tellement peu cher au regard du bilan d’une opération, qu’on ne doit pas s’en priver.” Sujet épineux ici encore que celui de la rémunération des architectes en charge d’intervenir sur l’existant et à qui l’on demande souvent l’impossible, au prix de devoir malheureusement parfois renoncer à faire acte d’architecture. L’arrêt Babel* a en effet de quoi inquiéter bon nombre de maîtres d’œuvre…

« Faire architecture »
La réhabilitation n’est pourtant pas un fait nouveau dans la grande histoire de l’architecture et nul n’a attendu l’arrivée de ce mot (précisément en 1974 suite à la circulaire Guichard) pour intervenir sur le déjà-là. Fabien Gantois, président de l’Ordre des architectes IDF rappelait que déjà Alberti dans « L’Art d’édifier », l’un des premiers grands textes marquant l’activité libérale des architectes, traite dans son dernier livre de la question de l’intervention sur les ouvrages existants. “Quand on requestionne un bâtiment, on questionne aussi son site, son sol, son lieu. La réhabilitation n’est pas qu’un acte technique, c’est aussi un acte urbain”. Nombre de projets témoignent de ce qu’un travail de réhabilitation, quand il fait acte d’architecture, permet de transcender la matière, l’espace, les lieux.

Citons ici les quatre immeubles de logements de La Faisanderie construits en 1952 à Fontainebleau par Marcel Lods pour l’Etat-major de l’Otan en Europe, puis rachetés par un office HLM. Réhabilité en 2O17 par l’agence eliet&lehmann architectes, l’ensemble tire profit de l’optimisation initiale sur la structure primaire entièrement préfabriquée permettant aux architectes de conserver la structure existante dans son intégralité. S’ajoute un travail patient de restauration des façades, de transformation des appartements pour parvenir à maintenir l’identité d’origine de l’édifice tout en obtenant les meilleures performances énergétiques. Pour cela des choix ont été faits, dont le but atteint fut de « faire architecture » : isolation par l’intérieur, ravalement, rejointoyage entre panneaux et nettoyage pour rendre au silex son éclat d’origine, remplacement des garde-corps de balcon dans leur forme et couleur initiales, remplacement des menuiseries extérieures par des neuves reprenant le dessin des baies d’origine.


Pour Laurent Lehmann, ingénieur centralien et architecte, ancien élève de Henri Ciriani et ancien collaborateur de Dominique Perrault et Christian Devillers, l’approche ne doit jamais être dogmatique. Les choix de réhabilitation se font en fonction des contextes, sans concession (notamment à la pression du moins-disant). Le projet de la réhabilitation des 587 logements des résidences Didot et Bardinet, dans le XIVe arrondissement de Paris en est la parfaite illustration. Ici l’ultime qualité de l’existant était la volumétrie à l’échelle urbaine de l’ensemble. Les architectes ont ainsi rhabillé le volume en briques claires, de façon à « transformer cette pauvreté des panneaux et de nouveau faire architecture en ramenant de la qualité aux lieux ».

« Certains objets sont très mal aimés, très décriés, mais quand on les regarde on arrive toujours à y trouver des qualités, la forme, la structure, la puissance de certains panneaux préfabriqués ». Ce fut le cas du Forum à Boulogne-Billancourt, un ensemble de 787 logements construit en 1976 (architectes Badani, Roux-Dorlut et Vigneron), identifiable par ses immeubles de quinze étages en gradins et dont le béton désactivé des façades aux textures et aux couleurs variées a été composé avec l’aide du plasticien Jean-Pierre Aury. Ici les architectes ont su atteindre l’objectif de la règlementation thermique sans passer par une isolation extérieure. De façon à modifier l’image de cet ensemble à l’échelle démesurée, une forêt en gradin est implantée sur les terrasses du bâtiment devenu paysage.
L’agence Eliet&Lehmann a reçu la Médaille de la Restauration de l’Académie d’Architecture en 2022.


L’importance de l’intervention d’un architecte dans la réhabilitation se perçoit à toutes les échelles. Pour cet immeuble-patrimoine tertiaire du XXe siècle, situé au 42 Cambronne à Paris et dessiné par Marcel Roux pour le siège d’ADOMA, ses façades en béton brut et ses fenêtres arrondies posaient question aux deux agences en charge de sa réhabilitation, CALQ architecte mandataire et Bond society (Christelle Gautreau & Stéphanie Morio). “Fallait-il déposer les façades pour ne garder que la structure poteaux-dalles ?” La question de la thermique se pose encore, de même que les façades intégralement amiantées. “Finalement notre parti pris a été de dire on respecte l’œuvre de notre confrère.” Pour créer les espaces de coworking et des appartements en coliving, les architectes ont ainsi conservé entièrement les façades en béton et augmenté les capacités thermiques de l’immeuble par une isolation intérieure. Des menuiseries performantes ont été installées derrière les panneaux préfabriqués avec un clair de vitrage plus grand pour augmenter la qualité de confort visuel à l’intérieur des espaces. Des loggias en double hauteur enfin créent des profondeurs et un terrain vertical pour la croissance des végétaux.


* le Conseil d’État a souligné en 2010 que la prolongation de la mission du maître d’œuvre n’est de nature à justifier une rémunération supplémentaire du maître d’œuvre que si elle a donné lieu à des modifications de programme ou de prestations décidées par le maître d’ouvrage.

ARTICLES SIMILAIRES

A lire aussi