Concevoir un lieu de mémoire est un exercice difficile, devant à la fois exprimer la sacralité de la mort et cultiver la conscience de l’impact d’un traumatisme tel que celui de la guerre. Une architecture digne est requise, une atmosphère de réflexion, de ralentissement, de silence, évitant l’écueil d’une rigueur froide et d’une architecture devenue elle-même silencieuse. Non loin de Maastricht aux Pays-Bas, sur un site noyé dans le paysage, KAAN Architecten livrent une architecture à cheval entre expérience phénoménologique et récit historique.
Formes mémorielles
Dans les collines du Limbourg, près de Maastricht aux Pays-Bas, le Cimetière Américain de Margraten a été conçu après guerre par l’architecte paysagiste américain Michael Rapuano et le néerlandais Alphons Boosten, en association avec le sculpteur Joseph Kiselewski. Sur 26 hectares et demi, le site qui s’étend le long de la chaussée romaine Cologne-Boulogne est chargé d’histoire : c’est en effet en suivant cette ancienne chaussée qu’en mai 1940 les troupes hitlériennes envahissent les Pays-Bas, et qu’en septembre 1944, l’armée allemande quitte le pays après quatre ans d’occupation.
L’équipe de maîtres d’œuvre dessinent alors un mémorial formant une haute tour de pierre blanche pour abriter une chapelle. Devant le monument, un bassin en projette le reflet ainsi que la silhouette d’une mère pleurant son fils. Derrière lui le cimetière où sont enterrés les milliers de soldats américains tombés, et dans la cour d’honneur un long mur commémorant les disparus longe une allée bordée d’arbres menant au drapeau qui surplombe le site.
Exprimer l’absence
Le lieu de mémoire devait se doter d’un centre d’accueil. En charge du programme, l’American Battle Monuments Commission fixe comme condition à ce nouveau bâtiment qu’il fasse partie intégrante du site : le cimetière paysager, la cour d’honneur avec sa tour de pierre accueillant la chapelle, les murs des disparus. C’est pourtant à une distance respectueuse de l’ensemble monumental que KAAN Architecten choisit de placer le nouvel édifice afin d’en préserver le plan original et de maintenir son équilibre.
Vu de loin, le volume monolithique paraît flotter au-dessus du sol. En empruntant un chemin minéral, le visiteur rejoint, dans une lente descente s’enfonçant dans le paysage vallonné, la place d’entrée ainsi placée en contrebas. Ici des blocs de pierre naturelle forment des assises dans un cadre scéniquement chorégraphié, le long des espaces vitrés. Un auvent protecteur est bordé d’un lourd bandeau vertical en béton stratifié couronnant le volume comme en lévitation. Détaché de la toiture, ce fascia dont les angles sont adoucis, laisse pénétrer la lumière par de fines fentes. Une impression de dépouillement et de sacralité envahit cet espace intermédiaire, accentuée par le dénivelé, avant que le visiteur ne pénètre dans les espaces d’accueil.
Au centre de la structure vitrée, un carré de 12 x 12 m à l’intérieur duquel se trouve un auditorium, est revêtu de panneaux de noyer habillant les espaces intermédiaires où divers objets originaux et histoires personnelles sont exposés, rapprochant le public de la réalité de la guerre. Ainsi l’expérience spatiale et chromatique, quasi-archaïque par l’utilisation exaltée des matériaux et l’expression primaire de la forme, est accompagnée d’un récit permettant au visiteur de verbaliser son émotion.
« Si le deuil s’estompe avec le temps, il n’en reste pas moins nécessaire de renforcer et de cultiver la conscience de l’impact durable de la guerre. »
-Vincent Panhuysen de KAAN Architecten (également auteurs de deux crématoriums en Belgique, le crématorium Heimolen en 2008, et le crématorium Siesegem en 2018).
Centre d’accueil du Cimetière Américain de Margraten
Maître d’œuvre : KAAN Architecten (Kees Kaan, Vincent Panhuysen, Dikkie Scipio)
Maître d’ouvrage : American Battle Monuments Commission
Paysagiste : Karres + Brands landschapsarchitecten B.V., Hilversum (Pays-Bas)
Surface : 600 m2