Au cœur de la commune d’Inzinzac-Lochrist dans le Morbihan, l’école de Kerglaw, construite en 1953, refait surface après avoir été longtemps oubliée. Conçue par l’architecte Charles Perrin, ce groupe scolaire semblait n’avoir laissé que peu de traces dans l’histoire architecturale locale. Pourtant, en 2023, une redécouverte surprenante a révélé que la contribution de Jean Prouvé, pionnier du design industriel et visionnaire du XXe siècle, allait bien au-delà du mobilier. Ce bâtiment fait en réalité partie d’un ensemble d’écoles standards à coques imaginées par Jean Prouvé entre 1951 et 1954.
Cette histoire est d’autant plus fascinante que le célèbre historien de l’architecture Peter Sulzer, spécialiste de Prouvé, pensait que cette école avait été détruite. Finalement, l’édifice est resté debout, avec son mobilier d’origine conçu dans les ateliers de Prouvé à Maxéville, près de Nancy. Désormais, la commune et les experts du patrimoine ont pour ambition de rendre à cette école toute son importance, non seulement en tant qu’œuvre architecturale, mais aussi comme témoin d’une époque marquée par l’innovation technique et la reconstruction d’après-guerre.
Une redécouverte célébrée à travers un programme riche
La valorisation de l’école de Kerglaw est au centre d’un projet culturel ambitieux, ponctué par les Journées européennes du patrimoine en septembre et les Journées nationales de l’architecture en octobre. Le programme de ces événements mettra en lumière l’histoire de cette école oubliée à travers diverses activités. Le 19 octobre marquera une journée spéciale avec la visite du site, l’exposition de documents inédits, la projection au Vulcain, le cinéma de la commune, de films sur Jean Prouvé (en partenariat avec le CAUE 56) et la pose d’une plaque commémorative mentionnant les architectes Charles Perrin, Yves Guillou et Jean Prouvé.
Une exposition pédagogique sur l’histoire de l’école sera également installée dans l’école elle-même. Cette exposition détaillera non seulement l’évolution de l’école, mais aussi la relation de la commune avec le développement des Forges d’Hennebont, une industrie clé dans l’histoire sociale d’Inzinzac-Lochrist. Une série de podcasts et capsules numériques viendra enrichir le projet, retraçant l’histoire de l’école à travers des témoignages d’anciens élèves et élus.
Le programme du 19 octobre sera ponctué par une rencontre publique avec Catherine Prouvé, fille du célèbre designer, qui partagera ses souvenirs et réflexions sur l’œuvre de son père et l’importance de cette école dans l’histoire du design et de l’architecture. L’opération inclut également la publication en novembre d’un livre sur l’histoire de l’école édité par les Éditions 205 de Lyon.
1952
© Galerie Patrick Seguin, Paris
modèle 850, 1952
L’innovation technique au service de l’éducation
L’école de Kerglaw fait partie des écoles standards à coques, conçues par Jean Prouvé dans les années 1950. À une époque marquée par le besoin urgent de reconstruire, les architectes cherchaient des solutions économiques et rapides pour construire des écoles dans des zones rurales et semi-urbaines. Prouvé, toujours soucieux d’allier l’art à l’industrie, a mis au point un système de coques préfabriquées en aluminium et acier, modulables et facilement transportables. Ces structures permettent un montage rapide tout en garantissant une grande solidité.
Le système des écoles à coques s’adaptait à la variété des contextes locaux. Pour l’école de Kerglaw, les Ateliers Jean Prouvé ont fourni non seulement les éléments préfabriqués de la structure, mais aussi le mobilier scolaire complet : pupitres, bahuts, tables et chaises, tout était conçu pour optimiser l’espace et offrir un environnement éducatif moderne. La structure modulaire du bâtiment, associant des coques en tôle d’aluminium et des éléments maçonnés, permettait de maximiser la lumière naturelle dans les salles de classe tout en favorisant la ventilation.
L’innovation technique au service de l’éducation était au cœur de la démarche de Prouvé. Comme il l’explique dans ses écrits, “l’école devrait révéler aux enfants l’architecture de leur temps, plutôt que celle du passé honteusement plagié.” À travers ses écoles à coques, Prouvé proposait une vision avant-gardiste de l’architecture scolaire, où l’usage de matériaux modernes et la préfabrication permettaient de transformer les lieux d’apprentissage en espaces lumineux, ouverts et fonctionnels.
École de Bouqueval, 1949 (2016)
© Galerie Patrick Seguin, Paris
Vers une revalorisation durable de l’école
Le projet de réhabilitation de l’école de Kerglaw vise non seulement à sauvegarder ce bâtiment exceptionnel, mais aussi à le recontextualiser dans l’œuvre plus vaste de Jean Prouvé, dont l’influence sur l’architecture moderne est immense. En lien avec des partenaires locaux et nationaux, la commune d’Inzinzac-Lochrist espère faire de cette école un lieu de mémoire et d’apprentissage pour les générations futures. Des ateliers pédagogiques seront organisés pour les enfants, en partenariat avec le CAUE 56, afin de les sensibiliser à l’architecture et au design.
L’école, jusque-là méconnue, est désormais perçue comme un patrimoine exceptionnel, emblématique de l’innovation architecturale de l’après-guerre. Son histoire est indissociable du développement industriel et social de la région, notamment avec les Forges d’Hennebont, qui ont façonné l’identité de la commune. Ce projet de valorisation ambitionne non seulement de rappeler l’importance de Jean Prouvé dans l’architecture du XXe siècle, mais aussi de sauvegarder le patrimoine moderne, souvent négligé.
L’école de Kerglaw, qui semblait jusqu’ici n’être qu’un simple bâtiment scolaire, se révèle être une œuvre architecturale de premier plan, à l’avant-garde de son époque. Sa revalorisation actuelle permet de tisser un lien entre passé, présent et futur, tout en célébrant l’innovation, l’art et l’industrie dans un projet à la croisée de l’éducation et du patrimoine.
“L’école ne devrait-elle pas révéler aux enfants l’architecture de leur temps, plutôt que celle du passé honteusement plagié ?”
Jean Prouvé