AccueilArchitectureExpositions / Livres« Pour une ville verte et durable », entretien avec Damien Butin

« Pour une ville verte et durable », entretien avec Damien Butin

« Au cours de l’histoire, le paysage a souvent répondu à des disciplines distinctes et controversées où l’esthétique et l’artistique étaient prépondérants. À l’heure où la planète se réchauffe, la ville est appelée à se réinventer, à lutter contre l’artificialisation des sols et à se reconstruire sur elle-même en la végétalisant. Dans ce contexte, le statut du paysage évolue : on le reconnaît aujourd’hui comme un patrimoine à préserver et à développer, mais également un écosystème naturel aux enjeux scientifiques, garant du bon devenir du monde du vivant dont l’humain fait partie.
En tant qu’objet de politique publique, le paysage participe à une organisation où la biodiversité doit irriguer tous les pans de l’intervention publique, afin que l’aménagement territorial rime avec résilience, préservation de l’environnement et bien-être des citoyens. Cette vision pousse les décideurs publics à questionner les paradigmes pris et à réinventer les pratiques que les plans paysages peuvent décrire en recomposant nos territoires dans un objectif de transition écologique. »

Damien Butin est Ingénieur paysagiste et Directeur de la stratégie et maîtrise d’ouvrage du patrimoine naturel à Bordeaux Métropole. Dans son nouvel ouvrage “Politique paysagère – Pour une ville verte et durable”, il propose une méthode d’analyse globale du « grand paysage » et de son écologie à l’échelle d’une agglomération en proposant des orientations stratégiques d’évolution et de transformation au travers d’un plan d’action, pour ensuite le décliner et s’intéresser à une action localisée au travers la réalisation d’un projet de parc naturel basé sur le principe de la renaturation.
Lutter contre le changement climatique et la chute de la biodiversité, améliorer la santé publique et développer la cohésion sociale, tels sont en effet les défis que les espaces habités du XXIe siècle doivent relever pour muter et s’adapter à ces nouveaux risques.

Entretien

Pourquoi ce livre ?
La maison Berger-Levrault m’a proposé de participer à un projet. Il s’agissait de partager des méthodes, des outils duplicables et du contenu technique pour aider les maîtres d’ouvrage à développer un aménagement paysager, en tenant compte des contraintes de l’espace public. À partir de cette proposition, nous avons élargi notre réflexion pour justifier le besoin de concevoir un aménagement paysager, selon une approche stratégique. Pour ce faire, nous avons d’abord travaillé à l’échelle macro, celle d’une conurbation, afin d’identifier ses forces et faiblesses à partir du « grand paysage ».

Cette analyse a été facilitée par l’élaboration d’un plan paysage et écologie.
L’objectif était de dégager les enjeux de cet œkoumène de référence pour proposer ensuite un plan d’actions. Ce plan visait divers objectifs selon les unités paysagères identifiées : habitat, infrastructures, agriculture, etc. Pour chaque unité paysagère, nous avons défini des actions, de nature plus ou moins structurante, et les avons hiérarchisées selon des critères paysagers et écologiques. Cette hiérarchisation permet d’organiser la mise en œuvre d’un projet de territoire dans le temps, l’espace, et en fonction de considérations politiques, financières, juridiques, techniques, et de faisabilité.

Nous avons ensuite choisi d’extraire un exemple du plan d’actions. Celui-ci concerne l’unité paysagère « paysage de l’habitat » et propose de transformer une friche industrielle en parc naturel, en suivant les principes de la renaturation. Cette approche permet de traiter un aspect spécifique du plan d’actions de manière plus détaillée, avec des considérations techniques et opérationnelles. L’objectif n’est pas de réécrire le fascicule 35, la référence en matière d’aménagement paysager, mais de sensibiliser et de partager des recommandations sur des sujets essentiels. Parmi ceux-ci figurent le sol (qualité agronomique, pollution), le choix des plantes (adaptation au changement climatique, sécheresse, îlots de chaleur) et la perte de biodiversité. Le tout est intégré dans un processus méthodologique, avec l’ambition d’être pédagogique et efficace.

Sa vocation est donc d’essayer d’alerter, sensibiliser et changer les regards en ne considérant pas le sujet du paysage comme un objet banal, que l’on regarde comme un seul décor, qui accompagne les interstices de l’aménagement du territoire. Aussi, cet ouvrage s’adresse tant à des élus, qu’aux maîtres d’ouvrages professionnels du paysage et de l’aménagement de l’espace public qu’aux étudiants paysagistes.

Comment définiriez-vous la notion de paysage ?
Le paysage est une notion complexe, qui rassemble des visions et des disciplines plurielles sur les plans patrimoniaux, conceptuels, techniques, de la biodiversité, etc. Il participe à faire la ville et encore plus au XXIe siècle, à rendre la vie en ville possible compte tenu des basculements nombreux auxquels nous faisons face et pour lesquels nos territoires doivent être autant agiles que résilients. Nous voyons d’ailleurs combien ces espaces verts, que nous désignons parfois vulgairement, sont de véritables écosystèmes de vie et de bien-être, mais aussi de véritables espaces qui ancrent notre patrimoine paysager, notre héritage identitaire dont nous sommes dépositaires en plus d’être source de production et donc d’alimentation.

Aussi, par des outils qui sont notamment à la main des décideurs publics, il est possible de penser l’aménagement du territoire d’une autre façon en faisant du paysage et de la biodiversité un principe fondateur pour bâtir des projets de territoire que les professionnels du paysage et de l’aménagement peuvent accompagner et décliner.
Conduire un projet de territoire par le paysage et l’écologie c’est dessiner une trajectoire commune pour les diverses politiques sectorielles de façon à ce que les objectifs convergent et se fassent écho.

Aussi, l’aménagement des œkoumènes répond à des équilibres que la réglementation urbanistique pousse également à trouver, pour que les conurbations se recyclent sur elles-mêmes et s’émancipent en se développant de façon plus sûre, vivable et durable pour répondre et concilier les enjeux à la fois multiplies et parfois contradictoires.

Quels sont les obstacles actuels à ce processus ?
Les basculements, notre exposition et notre vulnérabilité face aux canicules et aux inondations, par exemple, montrent concrètement aux territoires la nécessité d’envisager l’aménagement différemment. Ces événements poussent les décideurs publics et les professionnels à changer de paradigme et de pratiques.Ces évolutions se traduisent déjà au niveau européen, avec des initiatives comme la loi sur la restauration de la nature, et la loi ZAN du 20 juillet 2023, qui renforce l’accompagnement des élus locaux contre l’artificialisation des sols. Au niveau national, des outils comme le plan de renaturation des villes et villages, le fonds vert, ou encore les labels bas carbone et ville arborée soutiennent ces démarches. Ces outils alimentent aussi le futur projet de plan national d’adaptation au changement climatique au niveau national.

Même si une dynamique se met en place, il appartient aux maîtres d’ouvrage et aux partenaires techniques de modifier leurs méthodes et pratiques. Cela implique aussi de nouvelles formations et la mobilisation de compétences comme celles des paysagistes, écologues, et naturalistes pour penser et recycler les territoires. Il faut renforcer la transversalité et la complémentarité entre les acteurs de la ville en les réunissant autour d’objectifs communs. Il est aussi essentiel d’accompagner le changement des élus et des habitants par la pédagogie et leur implication, pour favoriser la prise de conscience et la compréhension des nouveaux paysages et des enjeux qu’ils portent. Par exemple, un espace vert doit être évalué par son confort et sa biodiversité, plutôt que par sa simple beauté ou sa propreté esthétique.

Il est crucial de comprendre l’intérêt de projets transitoires, car les aménagements sont souvent longs à réaliser. Ces projets permettent de recréer des écosystèmes vivants, comme régénérer les sols pollués en ville, qui sont à la fois un support d’ancrage et un lieu de vie pour le végétal. Les sols jouent aussi un rôle clé en captant le carbone et en contribuant à la ville éponge. Il est essentiel de valoriser la « technologie végétale » en respectant ses cycles biologiques pour bénéficier des fonctions et services écosystémiques de la nature, afin de réduire nos impacts et renforcer notre résilience face aux événements climatiques.

Comment les décideurs publics peuvent-ils intégrer la biodiversité dans leurs interventions ?
Cette question est l’un des sujets centraux du livre. Tout décideur public a pour vocation première de construire, d’animer et de développer le territoire. Pour cela, il s’appuie sur des politiques sectorielles qui fixent les objectifs, puis sont déclinées par les maîtres d’ouvrage et/ou des aménageurs privés.

En plus de la réglementation mise en place par les services de l’État, comme la séquence « Éviter, Réduire, Compenser » — qui impose un cadre strict à la réflexion autour de l’élaboration d’un projet —, il existe des outils de planification urbaine. Ces outils, tels que les PLU(i) et les PLU, sont des leviers en amont de tout projet pour orienter la stratégie de développement territorial. Ces outils sont également renforcés par des textes de loi, notamment celui sur la restauration de la nature voté en 2023, qui vise à restaurer 30 % des surfaces terrestres et marines dégradées d’ici 2030.

Outre ces outils réglementaires, d’autres sont à la disposition des élus. La Convention européenne du paysage, adoptée le 20 octobre 2000 à Florence par 29 États membres du Conseil de l’Europe, est un traité visant à mieux prendre en compte et protéger les paysages, issu d’une initiative du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux de l’Europe.

Il est possible de mobiliser le plan du paysage au niveau national. Ce plan est une démarche volontaire qui facilite l’élaboration du projet de territoire en prenant le paysage comme un élément fondateur et fédérateur dans une logique de transition écologique. Cet instrument a une portée stratégique, impliquant tous les acteurs d’un territoire et pouvant être soutenu financièrement par l’État. Ce plan intègre des dimensions écologiques que je propose de renforcer dans l’ouvrage. C’est pourquoi je parle de plan paysage et écologie (PPE) dans le livre. Il est essentiel que ces dimensions dialoguent et soient considérées comme un système monolithique. Leurs relations sont interdépendantes, et il est pertinent de les appréhender comme un tout, pour un projet de territoire bien calibré.

Il est donc possible de concevoir un projet de territoire où le paysage et la biodiversité sont des éléments clés du développement d’un œkoumène. Les résultats de cette réflexion peuvent servir de base aux différentes politiques publiques, permettant de les fédérer afin de respecter nos paysages et la biodiversité. Ils guident également de manière juste et cohérente la transformation de la morphologie urbaine, en respectant les objectifs de trames verte, bleue, brune, etc. Une fois cette réflexion menée à l’échelle macro, celle du « grand paysage », le plan d’action qui en découle permet de décliner projet par projet à l’échelle micro. Cela permet d’examiner minutieusement les deux composantes, tout en respectant la réglementation, avec pour objectif final de produire un espace structurant, vivable et protecteur pour le monde du vivant.
__________________________

Collection : Les Indispensables
Format 16x24cm. Date de parution : Mai 2024
Pour en savoir plus : https://boutique.berger-levrault.fr/ouvrages/collectivites-locales/les-indispensables/politique-paysagere.html

ARTICLES SIMILAIRES

A lire aussi