À l’ombre des tours du XVe arrondissement de Paris, le conservatoire Frédéric Chopin retrouve souffle et lumière. Sur les vestiges d’un urbanisme sur dalle hérité des années 1970, l’agence Litotes mène une réhabilitation qui conjugue exigence environnementale, mémoire du lieu et délicatesse architecturale. Un projet en apparence modeste, mais d’une richesse exemplaire, qui interroge ce que construire veut dire, aujourd’hui.
Depuis sa création en 1976, le conservatoire du XVe arrondissement de Paris occupait une position paradoxale : visible par un joli pavillon d’entrée, mais enseveli sous une dalle, invisible depuis la rue. L’histoire urbaine du quartier Bargue-Procession, né de l’urbanisation des emprises ferroviaires de Montparnasse, avait engendré ces figures emblématiques de la modernité tardive : tours sur dalle, patios surélevés, espaces publics sans réelle appropriation. Le conservatoire, conçu initialement comme un “kiosque dans un jardin”, participait de ce vocabulaire et, à l’usage, s’enlisait dans son propre dispositif.
La démolition progressive de la dalle marque un tournant. L’ancienne surélévation devient socle paysager ; le bâtiment, lui, s’ouvre, se réoriente, et retrouve son assise dans la ville. La façade arrière de l’auditorium – autrefois aveugle – devient un signal urbain dans l’axe de la rue Mathurin Régnier. Et l’entrée principale, enfin visible, s’affirme dans une composition sobre et lisible.


“Il fallait une nouvelle entrée, nous en avons profité pour ajouter de nouvelles salles. C’est là que le projet démarre dont la volumétrie interprète simplement l’existant : le socle, l’auditorium, l’orchestre. Le volume de l’orchestre se pose plus légèrement sur le socle dont il déborde pour signaler l’entrée.“
Habiter l’existant, composer l’assemblage
Le projet de Litotes n’est ni pastiche, ni table rase. Il s’inscrit dans une œuvre palimpseste, fruit de plusieurs campagnes de travaux menées par des équipes successives. Entre les lignes des architectures de Zehrfuss, Bigot, le projet de Litotes poursuit une histoire de strates et de dialogues : socle de béton, volumes émergents, ponctuations boisées et minérales.
Les nouveaux volumes ne cherchent pas à dominer mais à révéler. L’auditorium, massif, s’adosse au socle comme une ruine antique, tandis que le volume de l’orchestre s’avance légèrement, tout en calcaire et bois, indiquant sobrement l’entrée. Les interventions, précises, procèdent par révélations : ouverture de vues, requalification des circulations, jeux de transparences dans le hall. L’échelle domestique du patio est préservée ; la lumière descend en cascade sur l’escalier conservé. L’existant est respecté, ajusté, presque affûté.




“On s’est dit que les pavés étaient jolis avec sa forme de space invador et qu’on pourrait peut-être le récupérer pour habiller l’auditorium. Un mur de brique qui invite les matérialités voisines au cœur de cet ilot béton. Un mur de brique différent, un peu cabossé, dont la texture évoque les boites à œufs des studios d’enregistrement.“
Une frugalité pensée
Le mot litote, cette figure de style qui dit moins pour suggérer plus, prend ici tout son sens. L’architecture du projet évite les effets. Elle avance par petites touches, attentive à ce que l’usage révèlera, ce que les matériaux raconteront. La frugalité est conceptuelle autant que technique, justifiée par le choix de matériaux biosourcés, la ventilation naturelle pensée comme un geste architectural, les dispositifs de réemploi intégrés à l’ambiance générale.
L’approche se fonde sur une idée structurelle forte : ne rien alourdir. L’équation est simple, mais redoutable : la charge du projet doit rester équivalente à celle de l’existant. Il fallait démonter pour reconstruire, enlever ici des jardinières en béton, des dalles superflues, pour pouvoir ajouter là une salle d’orchestre ou une toiture végétalisée, sans altérer les fondations. Car sous le conservatoire, c’est encore une dalle – posée sur trois niveaux de parking, eux-mêmes fondés sur pieux.
La rigueur du diagnostic structurel rencontre alors celle de la matière. Le projet repose sur une constellation de gestes techniques à l’instar des poutres métalliques insérées dans les planchers existants, les refends porteurs réemployés, les passages précis entre charpente acier et ossature bois. Ce jeu d’équilibriste se double d’une chorégraphie logistique : 30 000 pavés de béton déposés sur le chantier voisin par Paris Habitat sont récupérés, triés, et réemployés comme parement d’auditorium. L’apparente brique qui orne la façade est en réalité un pavé usé, sa texture irrégulière captant la lumière comme une mémoire rugueuse de la ville.


“Les histoires de réemploi ressemblent souvent à des chroniques juridiques, comment acquérir les pavés du chantier voisin, et plus délicat, comment assurer un tel ouvrage. Un pavé ca va au sol et si on l’utilise en mur c’est une brique de ciment. Et c’est un nouveau produit, et une batterie de tests s’impose dont les résultats favorables n’ont surpris personne. Une nouveau produit sur le marché, réalisé en 30000 exemplaires, sans usines !”
Un chantier comme matière vive
Rien n’a été simple, et le projet témoigne d’une complexité assumée. La menuiserie jaune, arrivée par erreur, devient prétexte à relecture chromatique. La dalle ajourée d’un ancien brise-soleil est réutilisée en jardinière. Les portes des anciennes salles de cours, trop faibles acoustiquement, sont transformées en réflecteurs pour la salle d’orchestre. Le plafond suspendu en dalles 60×60, maintenu dans un premier temps pour des raisons économiques et acoustiques, disparaît finalement du chantier. Les accidents de parcours ne sont pas dissimulés ; ils sont absorbés dans la logique du projet.
Le chantier est aussi un terrain de confrontation avec le réel réglementaire. Le recours à des parements en pierre de réemploi sur ossature bois impose une procédure ATEx lourde et incertaine, rallongée de plusieurs mois. L’épisode du déflecteur anti-feu, exigé en pleine trémie sans pertinence physique, mobilise jusqu’à la préfecture pour éviter une absurdité réglementaire. Le récit du projet est aussi celui de ces résistances patientes, de ces arbitrages tenus où l’esthétique et le sens trouvent leur voie.


“L’assemblage de pierre calcaire et de douglas ne laisse rien voir de l’aventure qui a précédé sa mise en œuvre. Ce sont des pierres agrafées qu’on a acheminées et recoupées pour pouvoir être manipulées à la main sur notre chantier.”
Vers une pédagogie de l’attention
L’architecture ici ne résout pas : elle organise, cadre, ouvre, dans un esprit d’atelier partagé. Les architectes assument leur rôle au carrefour du technique et du sensible. Quand il faut arbitrer entre efficacité thermique et ambiance musicale, entre grille de ventilation et vue dégagée, ils choisissent l’atmosphère – mais sans naïveté. C’est cette posture, artisanale, presque stoïcienne, qui donne sa tonalité au projet.
En redonnant au conservatoire Frédéric Chopin une place dans la ville, le projet parle aussi d’éducation. L’école de musique, qui naguère s’enfonçait sous dalle, réapprend à respirer, à capter la lumière, à s’offrir aux passants. On y entre comme dans un bâtiment public digne, mais accueillant. Les passereaux, eux aussi, retrouvent leur place : les nichoirs intégrés au projet viennent rappeler que le paysage sonore est une affaire d’architectes.
Car ici, ce qui est enseigné n’est pas que le solfège : c’est l’attention. À l’existant, à la matière, au vivant. Une leçon d’architecture autant qu’un conservatoire.
“Ce petit équipement est entièrement habillé de matériaux récupérés. Nous nous sommes lancés dans un jeu de stratégie avec des dizaines d’acteurs qui entremêlent des questions de temps, d’argent, de technique, d’opportunités.”


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Litotes, une écriture collective et artisanale
Fondée sur le rapprochement de trois agences complémentaires – WRA, Ithaques et MAARU – Litotes revendique une posture à la fois collective et artisanale. Loin du geste signature, l’agence développe une architecture du sur-mesure, attentive aux contextes, soucieuse d’usages et de matérialités. Avec une vingtaine de collaborateurs et quatre associés, elle fonctionne comme un atelier : la méthode de projet prime sur le style, l’attention au déjà-là nourrit la créativité. Le nom, emprunté à la rhétorique, annonce la couleur : dire peu pour signifier davantage. En architecture, cela se traduit par une frugalité assumée, qui fait de la contrainte un levier, et du détail un langage.
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Maitrise d’ouvrage : Ville de Paris
Architecte : WRA et les Litotes
Montant travaux : 5.400.000 € ht
Surface :
Avant travaux : 1350 m² SDP
Après travaux : 1560 m² SDP
Réemploi :
30.000 pavés autobloquants en béton
162 m² de pierre calcaire
109 m² de brise-soleil transformés en jardinières
110m² de dalles sur plots
230m² d’isolant thermique
50 baffles acoustiques
52 portes intérieures en bois transformées en volets
acoustiques
32 ml de garde-corps
11 équipements sanitaires
25 radiateurs
Crédit photos : Sergio Grazia