À travers plus de trois décennies de recherches, d’expérimentations et de réalisations, Dominique Perrault et Gaëlle Lauriot-Prévost ont hissé la maille métallique au rang de matériau architectural à part entière. Le coffret Maille métallique – L’histoire d’un tissage, publié en juin 2025, retrace cette trajectoire pionnière en deux volumes denses, où projets, essais et images composent un récit à la fois technique, esthétique et historique.
Une matière libérée de son assignation fonctionnelle
On l’a longtemps cantonnée aux rôles utilitaires : garde-corps, grilles, filtres techniques. Fonctionnelle, voire ingrate, la maille métallique semblait condamnée à l’arrière-plan des édifices. Dominique Perrault et Gaëlle Lauriot-Prévost en auront décidé autrement. Dès le chantier de la Bibliothèque nationale de France dans les années 1990, le tandem engage un travail de refonte symbolique et plastique de ce matériau issu de l’ingénierie industrielle. La maille devient alors une peau, une lumière, une interface, libérée de ses usages contraints.
Ce renversement n’a rien d’un effet de mode : il repose sur une compréhension fine de ses propriétés ambivalentes – souplesse, translucidité, robustesse – et sur un dialogue constant entre architecture, design et technique. En redéfinissant ses usages, les architectes font de la maille un médium à part entière, capable de traduire une intention formelle autant qu’un besoin climatique ou structurel.
Une signature matérielle
Le coffret – deux volumes, plus de 2 300 pages, trilingue – revient sur 55 projets de l’agence DPA réalisés entre 1989 et 2024. De la BnF au court Suzanne Lenglen à Roland-Garros, en passant par la gare Villejuif-Gustave Roussy du Grand Paris Express, la maille s’impose comme un élément structurant de la grammaire de Perrault. Son usage y est multiple : façade ventilée, brise-soleil, plafond suspendu, mobilier urbain ou encore dispositif scénographique.
Chaque projet, documenté par des photographies, plans, et récits, montre à quel point la maille dialogue avec la lumière, se laisse modeler, tendue ou flottante, révélant ou masquant, selon les intentions. La maille filtre sans enfermer, tamise sans obstruer, laisse passer l’air autant que le regard. Ce matériau, pourtant issu de la standardisation industrielle, devient chez Dominique Perrault un vecteur de singularité. Il construit un rapport au site, au climat, à la temporalité – jouant avec l’heure du jour, le rythme des saisons, la circulation de l’air.
Une esthétique de la trame et du tissage
L’ouvrage ne se contente pas de retracer un corpus d’œuvres. Il articule ce récit à des essais critiques, signés par des contributeurs aux regards complémentaires : Barry Bergdoll interroge la filiation entre le tissage textile et la construction architecturale ; Sophie Lemahieu fait le lien entre la maille et l’histoire de la mode contemporaine ; Philippe Trétiack évoque les complicités industrielles entre DPA et le fabricant allemand GKD. Gaëlle Lauriot-Prévost elle-même développe un texte sur la durabilité programmée de la maille, tandis que Dominique Perrault y formule une critique du mur, où la maille s’érige en alternative poreuse à l’opacité minérale du mur-porteur.
Ce qui ressort de cette matière composite, c’est une esthétique du filtre, de la couche, de l’interface. Elle ne renvoie pas à une monumentalité affirmée, mais à un jeu subtil entre intérieur et extérieur, entre présence et effacement. Elle participe d’un mouvement plus large : celui d’une architecture qui refuse le mur plein comme dogme, et explore des solutions ouvertes, adaptables, réversibles.
Un matériau diffusé, une méthode revendiquée
Plus qu’une simple rétrospective, le travail éditorial documente une méthode qui a essaimé, dépassant les frontières de DPA. La maille, autrefois outil marginal, est aujourd’hui reprise par de nombreux architectes et agences, séduits par ses possibilités formelles, ses qualités environnementales, sa robustesse et son expressivité.
À la manière d’un manifeste, le livre trace aussi les contours d’un partenariat fertile entre architectes et industriels. Car l’histoire de ce matériau est aussi celle de sa mise au point, de ses déclinaisons techniques, de sa capacité à s’adapter aux contraintes normatives autant qu’aux intentions poétiques.
Documenter la matière
En consacrant un ouvrage à la maille métallique, Dominique Perrault et Gaëlle Lauriot-Prévost ne signent pas seulement un bilan de carrière. Ils livrent un outil de travail et de réflexion pour les architectes. Un atlas technique et sensible, où la matière est scrutée, mise en récit, analysée dans ses usages comme dans ses symboles. Ce livre propose une lecture nouvelle d’un objet a priori discret, mais dont le potentiel est, à l’évidence, loin d’avoir été entièrement exploré.
Gaëlle Lauriot-Prévost & Dominique Perrault
MAILLE MÉTALLIQUE
L’histoire d’un tissage
avec les contributions de Gaëlle Lauriot Prévost, Barry Bergdoll, Sophie Lemahieu, Dominique Perrault & Philippe Trétiack
Format : 14 x 20,5 cm | 350 €
Trilingue : français, anglais, allemand
2.304 pages en deux volumes sous coffret