Depuis vingt ans, l’agence Weissberg + Lacombe Architectes s’attache à transformer les bâtiments sans jamais en trahir l’essence. Dans le domaine du logement social, leur approche repose sur une conviction forte : une réhabilitation réussie est celle qui inclut ses habitants, les engage dans un processus respectueux, et leur permet de s’approprier la transformation.
Plutôt que d’imposer des solutions standardisées, les architectes préfèrent un dialogue subtil avec l’existant. Chaque projet devient ainsi une opportunité de renforcer le lien entre architecture et cadre de vie, d’inscrire une intervention dans la continuité d’un lieu et de son histoire. La perception et le symbolique dans la spatialité sont autant d’outils qu’ils mobilisent pour faire de la réhabilitation un levier d’appropriation.
Une fenêtre qui redéfinit l’espace
Parmi les innovations portées par l’agence, une invention brevetée repense le rapport à la fenêtre et, par extension, au logement lui-même. Le principe : dépasser la simple ouverture pour créer un cadre architectural engageant une nouvelle relation entre l’habitant et son bâtiment. En concevant des fenêtres plus grandes que les baies murales existantes, Weissberg + Lacombe offre une expérience inédite : depuis l’intérieur, les locataires perçoivent la façade et non plus seulement l’extérieur lointain.
Cette subtile modification a un impact profond. En redonnant à l’habitant une perception tangible de son immeuble, elle renforce son sentiment d’appartenance. La lumière naturelle est optimisée, les contrastes entre matières révélés. Ce dispositif, appliqué à la réhabilitation thermique, transcende la dimension technique pour devenir un geste architectural à part entière.
Un travail de haute précision
Techniquement, cette innovation nécessite une adaptation des principes de fixation, d’isolation et d’étanchéité. L’encadrement surdimensionné doit être conçu pour assurer une parfaite continuité thermique et acoustique. Posée en applique, avec des retours d’isolation, la fenêtre repensée s’intègre dans une réflexion plus large sur la modernisation du bâti ancien. En réhabilitation patrimoniale, où l’existant impose ses contraintes, cette approche permet de le magnifier en améliorant la perception sensible du logement par l’habitant. L’intervention devient alors un dialogue entre l’habitant et son bâtiment, technique et poétique.
Entretien avec Samy Weissberg et Benoit Lacombe, associés
Vous travaillez principalement en réhabilitation. Qu’est-ce qui guide votre approche ?
_Nous réhabilitons des bâtiments de logements sociaux en y apportant de nouveaux usages, en répondant à l’enjeu climatique, mais également sociétal en voulant ramener de la dignité et de la fierté d’habiter. Nous voulons que les locataires vivent cette évolution comme une attention qui leur est portée. C’est une démarche où nous nous efforçons d’être à l’écoute de leurs besoins et d’y répondre avec des interventions architecturales qui dialoguent avec eux.
Comment évitez-vous que les habitants subissent ces transformations ?
_Réhabiliter en milieu occupé, c’est modifier l’existant en présence d’habitants. Cela signifie qu’il faut non seulement penser aux contraintes techniques mais aussi à l’impact quotidien des travaux sur les locataires. Nous expliquons les objectifs de la transformation et faisons en sorte que les changements apportés soient compréhensibles et perçus comme bénéfiques. Nos expériences nous ont montré que lorsque les habitants comprennent l’amélioration apportée, ils acceptent plus facilement les interventions, car ils se sentent impliqués dans le projet plutôt que de le subir.
Vous avez déposé un brevet pour une fenêtre innovante. Quelle en est l’origine ?
_Nous avons conçu une fenêtre plus grande que la baie murale afin de créer un lien inédit entre l’intérieur et l’extérieur. En permettant aux habitants de voir non seulement l’extérieur, mais aussi la façade de leur immeuble depuis leur intérieur, nous renforçons leur sentiment d’appartenance au bâtiment. Cette approche apporte également une qualité de lumière naturelle repensée, tout en améliorant l’intimité et la relation entre l’extérieur et l’espace du logement, par exemple dans le cas de vis-à-vis dans certains contextes urbains.
Comment cette invention modifie-t-elle le confort des logements ?
_Nous avons pensé cette fenêtre comme un moyen de modifier la perception du logement. Ce n’est pas qu’une question de lumière ou d’isolation, mais aussi de ressenti : en percevant la façade de leur immeuble, les habitants se reconnectent à leur bâtiment. Ils ne sont plus simplement dans un espace clos par la façade et les fenêtres, mais dans un lieu qui fait sens avec une façade perceptible aussi de l’intérieur . Cette modification subtile agit à la fois sur l’esthétique et sur l’intimité du logement. Cela permet de réinventer pour le locataire le sentiment d’appartenance à un lieu et à une histoire qui évolue.
Quelles solutions techniques spécifiques avez-vous développées ?
_Nous développons des choix techniques qui participent pleinement à la définition architecturale du projet. Par exemple, l’intégration de rupteurs de ponts thermiques ou profils extrudés en encadrement des fenêtres permet de limiter les déperditions de chaleur en traitant le pont thermique entre un mur existant sans isolation et notre fenêtre plus grande que la baie. Cet encadrement permet une nouvelle perception architecturale de la fenêtre, qui devient un ensemble avec son cadre.
Vous intervenez sur des bâtiments patrimoniaux. Comment conjuguer conservation et modernité ?
_Nous considérons que chaque bâtiment possède une valeur propre. Nous voulons révéler dans notre travail la solidité de l’existant et ce qu’il a d’immuable : sa structure, puisque son existence en dépend. Notre approche consiste à trouver l’équilibre entre préservation et adaptation aux enjeux contemporains. Il ne s’agit pas de recouvrir un bâtiment sous une couche d’isolation thermique qui masquerait son identité, mais de sublimer ses qualités originelles en les intégrant dans une réflexion architecturale sensible et respectueuse. La réhabilitation énergétique n’est pas un acte architectural «mineur» mais bien une véritable pratique qui voit le jour par nécessité. Comme toute pratique architecturale celle-ci nécessite une théorie réfléchie qui donne du sens à cette nouvelle approche.
En quoi la réhabilitation est-elle une source de créativité pour vous ?
_Contrairement à la construction neuve, où l’on part d’un contexte donné, la réhabilitation nous pousse à composer avec un bâtiment existant dans un contexte. Notre démarche est à part dans le sens où nous voulons nous rapprocher de ce qui constitue la nature même du bâtiment. Nous reconsidérons l’existant, pour mieux révéler son essence. Sa nature a été fixée lors de sa construction : c’est son ordre. C’est la connaissance de sa nature qui permettra de comprendre ce que peut faire cet ordre. C’est ce que Louis Kahn nous exhortait à respecter. Cette approche de la réhabilitation nous amène à une attention plus fine aux détails, aux usages, et à la manière dont l’architecture dialogue avec ceux qui l’habitent.
Pour conclure, qu’est-ce que la réhabilitation apporte de plus qu’une simple rénovation ?
_La réhabilitation ne se limite pas à une amélioration technique ou énergétique. Elle modifie la manière dont le bâtiment est perçu et vécu par ses habitants. Nous ne réhabilitons pas seulement les bâtiments, nous réhabilitons aussi le lien entre les habitants et leur lieu de vie. Cette évolution, même à travers des interventions discrètes comme un changement de fenêtre ou un ravalement, peut profondément influencer la perception et la réappropriation du logement par l’habitant. Nous pensons que la réhabilitation est un acte d’architecture à part entière, qui peut redonner du sens aux espaces tout en révélant leurs natures constructives. Nous décrivons notre approche comme une pratique de la «tectonique» appliquée à l’architecture. La tectonique (tiré du grec tektonikos, qui signifie menuisier, charpentier) appliquée à l’architecture serait l’étude des couches et des mécanismes qui ont formés le bâtiment de son origine à maintenant. Dans notre démarche le bâtiment réhabilité est ce qu’il a été, mais est aussi ce qu’il sera : il porte en lui son immensité. Nous pensons que c’est une approche nouvelle, qui ouvre tout un champ des possibles pour la réhabilitation du patrimoine moderne. Nous préparons actuellement un ouvrage qui élaborera toute cette pensée.
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Projet Place de Séoul, Régie immobilière de la Ville de Paris : Un local vélo conçu comme une réalisation discrète au cœur d’une œuvre monumentale




crédits photos © Weissberg+Lacombe architectes
Ce projet, non réalisé, exprime la volonté d’explorer un dialogue possible entre une œuvre architecturale iconique et son ajout. Il s’agissait également de concevoir un projet qui trouverait sa place au sein même de l’œuvre monumentale de Ricardo Bofill et non en dehors de son périmètre. Plutôt que d’imposer une présence, le local vélo imaginé par les architectes se fond dans son contexte grâce à une paroi miroitante érigée, réfléchissant l’architecture de la place de Séoul. Après la présentation des intentions, Ricardo Bofill a lui-même donné son accord pour ce projet.
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La Tour d’Algérie à Paris, Régie immobilière de la Ville de Paris : La tectonique architecturale au service de la réhabilitation d’une tour de logements sociaux





La tour se situe en bordure d’HBM centenaires de la RIVP qui font partie des premiers logements sociaux de France. La tour faite aussi pour la RIVP, cinquante ans après, représente cette volonté, propre aux années 70, d’élévation et de rationalisation.
Dans cette réhabilitation Weissberg + Lacombe Architectes adopte une approche analytique qui sera respectueuse de l’existant : à l’époque la tour a été construite avec des éléments en béton préfabriqué, notamment les panneaux de façades. Plutôt que d’effacer l’histoire constructive du bâtiment sous une isolation déconnectée, le projet met en valeur la préfabrication et la structure d’origine. Par un travail subtil de retrait d’ITE (isolation thermique par l’extérieur), une différenciation des textures d’enduit et un travail sur les tableaux de fenêtres, la façade révèle sa composition constructive. Ce que Patrick Berger (Architecte de la Canopée des halles ), décrira lors de la visite de ce projet, comme le marquage des « index constructifs » d’origine, relevant d’un travail sur la « tectonique » du bâtiment. En effet l’étude de la nature même du bâtiment et donc de sa réalité constructive a permis de créer un geste architectural, qui offre aux habitants une meilleure lisibilité de leur cadre de vie, tout en améliorant considérablement le confort thermique et acoustique.
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Maison à Saint-Mandé : Expérimentation pour une nouvelle approche des ouvertures




Dans ce projet de maison individuelle en zone dense, Weissberg + Lacombe développe une approche inédite de l’ouverture et de la fenêtre. En dépassant les limites traditionnelles de la baie, ils transforment la perception de l’ouverture et de la fenêtre. La lumière naturelle pénètre généreusement dans les espaces, tandis que l’intimité des habitants est protégée. Ce sentiment d’abri est créé par des poteaux en pierre sur la façade, visibles depuis l’intérieur mais aussi de l’extérieur. Ces poteaux sont des éléments conçus pour créer un plan intermédiaire entre la vue et le regard de l’habitant. Une réflexion qui préfigure leurs futures recherches sur le rapport entre les ouvertures et les fenêtres en réhabilitation.
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Orme-Romainville, RIVP, Paris : Réhabilitation thermique de trois bâtiments et surélévation de logements sociaux




© Weissberg+Lacombe architectes
À la fois projet de réhabilitation et d’extension, cette intervention repense le lien entre l’habitant et son logement. La surélévation de deux bâtiments existants permet d’intégrer de nouveaux logements tout en respectant l’architecture d’origine. L’approche spécifique sur les ouvertures et les fenêtres – qui permettent aux locataires de percevoir leur façade depuis l’intérieur – renforce le sentiment d’appartenance et l’intimité face au vis-à-vis urbain. La fonction d’apport de lumière de l’ouverture se dissocie alors de celle de la fenêtre, simplement là pour protéger des éléments. La baie devient un élément de la façade entièrement identifiable et visible de l’intérieur alors que la fenêtre, indépendante de la façade, se transforme en une sorte de mobilier, une partie de l’intérieur du logement.
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Habitat Social Français (HSF), Bâtiment Art Déco : Réhabilitation et remplacement des fenêtres


Dans le prolongement des réflexions de l’agence sur l’ouverture et la fenêtre, ce projet explore une autre dimension plus intimiste. Le caractère patrimonial de la façade met en effet ici en lumière l’équilibre à trouver entre conservation et innovation. Les nouvelles fenêtres, volontairement surdimensionnées par rapport à la baie, redéfinissent ainsi le cadre de l’habitat. Il a été décidé d’intégrer une marque d’intérêt adressée aux habitants : des éléments de carrelage Winckelmans – une marque qui existe depuis les années 30 – sont posés sur ce retournement de façade visible uniquement par les habitants. Les architectes créent, par cette attention intime, une continuité architecturale qui dialogue avec le passé tout en modifiant la perception des espaces intérieurs.
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