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Le Grand Palais, ou la fabrique d’un lieu vivant

Le Grand Palais ne s’offre pas au visiteur comme un bâtiment restauré, mais comme un espace redéfini, repensé, presque réécrit. Inauguré au printemps 2025 après plus de quatre années de fermeture, le chantier mené par Chatillon Architectes, en charge de la restauration patrimoniale, et par l’Atelier Senzu, accompagné du designer Samy Rio et du studio 2×4, pour les aménagements intérieurs et la signalétique, marque un tournant dans l’approche du patrimoine monumental : non pas un retour à l’origine, mais une projection lucide vers l’avenir – de la structure aux usages. Entretien avec l’Atelier Senzu.

Dès les premières esquisses, le projet s’est fixé un cap ambitieux : restituer la cohérence structurelle et lumineuse de l’édifice de 1900, tout en répondant aux exigences d’un équipement culturel du XXIe siècle. Sous la grande verrière, dans les galeries périphériques, autour de la rotonde du Palais de la découverte, les volumes ont ainsi été dégagés, les parcours fluidifiés, les verrières restaurées dans le respect des détails d’origine. La lumière – élément fondateur de l’architecture du Grand Palais – est revenue irriguer l’ensemble du bâtiment. Mais au-delà des apparences, ce qui s’est joué ici relève également d’une autre échelle : celle de l’usage, de la réversibilité, de la lisibilité.

Chatillon Architectes, une architecture retrouvée, sans retour en arrière
Au cœur du projet, l’intervention de Chatillon Architectes s’est imposée comme un travail de dévoilement. Loin des restaurations spectaculaires ou mimétiques, l’agence dirigée par François Chatillon a mené une opération patiente, documentée, rigoureuse, visant à restituer au Grand Palais la cohérence spatiale qui avait peu à peu été masquée par des décennies d’ajouts, de cloisonnements et de surcouches techniques. Il ne s’agissait pas ici de figer un état de 1900, mais d’interpréter les différentes strates du bâtiment avec discernement, en assumant leur coexistence, et de redonner au lieu sa lisibilité fondatrice.

Cette lecture critique s’est traduite par la remise en lumière des axes historiques – notamment le grand axe est-ouest reliant la Rotonde du Palais de la découverte à la Nef -, la suppression de mezzanines ajoutées dans les années 1960, le rétablissement de circulations transversales et la mise en valeur des séquences d’enfilade. L’espace central du bâtiment, autrefois fragmenté, redevient traversable, fluide, hiérarchisé. Les parcours sont réorganisés selon une logique topographique lisible, appuyée par un redimensionnement des seuils, une revalorisation des galeries périphériques et la création d’un nouveau hall d’accueil structurant. La Rotonde, la Place Centrale, les foyers et les passerelles redeviennent des lieux de respiration entre les programmes.

Des techniques de pointe
Sur le plan technique, la restauration des verrières constitue l’un des chantiers majeurs du projet. Le verre armé d’origine, thermiquement inefficace, a été remplacé par un vitrage isolant de très haute performance, conçu spécifiquement pour le projet. Cette intervention a permis d’améliorer les conditions climatiques intérieures tout en conservant une esthétique parfaitement fidèle à la texture, à la couleur et à la transparence du verre ancien. Les charpentes métalliques quant à elles ont été traitées par sablage doux, protection intumescente et peinture spécifique, alliant respect du patrimoine et conformité aux normes de sécurité incendie.

À travers cette restauration exigeante, Chatillon Architectes n’a pas simplement réhabilité un bâtiment exceptionnel. Ils ont restitué les conditions de sa lisibilité et de sa permanence, en conciliant une profonde compréhension patrimoniale avec une technicité assumée. Le Grand Palais redevient un lieu d’usage autant qu’un objet d’architecture.

Atelier Senzu : réinventer des usages et accueillir la ville
Car restaurer, dans ce contexte, ne signifie pas figer. Il a fallu réconcilier le bâti historique avec les normes d’accessibilité, les exigences climatiques, les impératifs techniques. Repenser la manière dont ce bâtiment chargé d’histoire, de science, d’art, de politique, peut à nouveau accueillir la ville, ses habitants, ses publics, ses enfants, ses chercheurs, ses touristes. Rouvrir le Grand Palais, c’est rouvrir un lieu d’échange, d’initiation, de débat. C’est faire de la monumentalité une chose hospitalière.

C’est dans cette optique que les aménagements intérieurs ont été confiés à l’Atelier Senzu, jeune agence parisienne engagée dans une approche écosociale de l’architecture, en dialogue étroit avec le designer Samy Rio et le studio 2×4 pour la signalétique. Ensemble, ils ont déployé un projet intérieur pensé à l’échelle des gestes et du quotidien, propice à l’appropriation durable du lieu par ses visiteurs. Dans les foyers, les ateliers, les boutiques, les gradins, les vestiaires ou les auditoriums, les concepteurs vont dès lors s’adapter aux flux, aux âges, aux rythmes. Les matériaux choisis – terre cuite et aluminium recyclé – incarnent à la fois une mémoire du lieu et un engagement dans le présent.

La matière comme récit
Au sein du palais rénové, les choses ont désormais une autre texture. Plus douce, plus poreuse, presque familière. On pourrait croire à une série d’objets posés là, pensés pour accueillir, guider, s’adosser. Mais c’est toute une mécanique des usages qui se trame dans ces assemblages, une vision de l’architecture comme une écologie de gestes, mêlant haute précision et artisanat discret.

Chez Senzu, rien n’est neutre. Chaque matériau convoqué raconte à la fois un usage, une histoire et une perspective. Le choix de la terre cuite ne tient pas du simple hommage à la mosaïque originelle du sol ou aux briques vernaculaires. Il renoue avec une forme d’ancrage sensible, un rapport immédiat et chaleureux au lieu, mais aussi avec une esthétique de la réversibilité. Le matériau, travaillé par extrusion, devient paroi, assise, poignée, façade de vestiaire ou peau de boutique. Il vibre au toucher, il capte la lumière sans la refléter, il structure les volumes sans les dominer. L’aluminium recyclé, en contrepoint, introduit une légèreté robuste, une capacité à tendre les lignes. La rencontre de ces deux matières donne alors naissance à une tectonique fluide, presque chorégraphique.

Une architecture de l’usage
À la différence des grands récits architecturaux dominés par le geste ou la forme, le projet intérieur du Grand Palais mise sur la granularité des usages. Rien n’est spectaculaire, et c’est justement cela qui fait sa puissance. Le projet pense en amont les circulations, les attentes, les attentes dans l’attente. Il travaille à l’échelle du comptoir, du gradin d’écoliers, du casier familial. L’espace est partagé, perméable, mais jamais anonyme.

C’est peut-être dans le Salon Seine que cette approche atteint sa pleine maturité. Pensé comme un lieu d’accueil hybride, inspiré du « Fun Palace » de Cedric Price, il alterne salon de lecture, ludothèque, comptoir de café, zone d’ateliers. Ici, les enfants s’allongent sur des tapis, les adultes lisent ou patientent, les scolaires s’installent sans empiler les sacs. Un meuble sinueux, lesté de briques de terre cuite, signale la ludothèque ; au-dessus, une banderole de feutre trace une ligne de récit dans l’espace. Rien n’est fermé, mais tout est dessiné.Plus bas, dans les vestiaires, ce sont les matériaux qui orchestrent le rythme : carreaux vernissés blanc cassé, grès normand, poignées en terre cuite terracotta, signalétique en tôle d’aluminium. Le tout forme une séquence de textures familières, presque domestiques. Un hommage discret au métro parisien et à ses murs de faïence, mais surtout un effort pour rendre hospitalier ce qui, trop souvent, reste un entre-deux fonctionnel.

Des lieux qui savent évoluer
La réflexion menée par Senzu intègre une autre dimension souvent négligée : celle du temps. Concevoir un aménagement aujourd’hui selon eux c’est déjà anticiper son obsolescence, sa transformation, son potentiel de réemploi. Ici, tout peut donc être démonté, réparé, redistribué. Les mobiliers sont assemblés sans colle, vissés, ajustés, démontables. La logique de maintenance devient une stratégie de projet. C’est une architecture qui accepte d’être modifiée, transformée, prolongée.

Un manifeste contemporain dans une enveloppe patrimoniale
Le Grand Palais version 2025 n’est pas un retour en arrière, encore moins un geste de figuration patrimoniale. Il est un exemple rare d’architecture construite sur une mémoire matérielle et un futur d’usage. Ce que Chatillon Architectes restitue à l’échelle de la nef et des verrières – la lumière, les proportions, la transparence -, Senzu et ses partenaires le transcrivent dans les lieux d’accueil, les circulations, les temps d’attente.

Ce qui se joue ici dépasse la réhabilitation : il s’agit d’une réinvention silencieuse mais radicale de la manière dont un monument peut s’offrir à ses publics, non pas comme un musée, mais comme une place, un foyer, un terrain d’apprentissage. Une architecture d’accueil, de partage, de porosité. Et sans doute, aujourd’hui, une architecture profondément politique.
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Entretien avec l’Atelier Senzu

Votre intervention se concentre sur les espaces communs du Grand Palais. Quelle était votre intention première ?
Nous avons été appelés à intervenir dans les espaces communs, là où le bâtiment, malgré sa monumentalité spectaculaire, manquait d’identité d’usage. Le Grand Palais est un édifice impressionnant, presque écrasant, mais historiquement malléable : pour preuve les nombreux programmes qu’il a assumé au cours de ses 125 ans. Notre mission consistait à traduire cette complexité en gestes lisibles, à créer des objets qui facilitent l’accueil, l’orientation, le repos. Il fallait rendre cet environnement plus hospitalier sans en trahir la nature.
Nous avons constitué un groupement pluridisciplinaire avec le designer Samy Rio et le studio de signalétique 2×4. Ensemble, nous avons conçu un projet total, à la fois fonctionnel et symbolique. Ce fut une démarche transversale, construite autour d’un langage commun, une sorte d’alphabet architectural dont les lettres seraient les objets, les matières, les couleurs. L’idée n’était pas d’imposer une esthétique, mais d’inventer une grammaire d’usage, lisible et familière, à l’échelle du corps. Par voie de répétition, on arrive avec ces petits objets à conquérir l’échelle monumentale.

Sur quoi se sont basés vos choix de matériaux ?
Notre périmètre d’intervention couvre près de 25 000 m² sur les 75 000 du site. Cela représente des milliers d’objets : comptoirs, casiers, assises, boutiques, signalétiques… C’est aussi une masse importante de matériaux, et donc potentiellement de déchets. Très tôt, nous avons attiré l’attention sur la question de l’obsolescence. Dans le cadre de l’accord-cadre qui régissait notre mission – sans esquisse préalable, sans projet figé -, nous avons proposé une stratégie d’adaptabilité, fondée sur la réparabilité, la démontabilité, la réutilisation.
La terre cuite est apparue comme une évidence : matériau stable, indéfiniment recyclable, universel. En parallèle, l’aluminium s’est imposé pour sa légèreté, sa résistance. Ces matériaux se prêtent à l’extrusion. Ce procédé – forcer une matière à travers une filière – permet de concevoir des objets robustes en utilisant moins de matière. Nous l’avons appliqué aux deux matériaux, ce qui nous a permis de développer une dizaine de modules extrudés, réutilisables à l’infini dans différentes typologies.

Par ailleurs, les casiers, par exemple, sont de vrais meubles d’architecture. Ils sont solides, mais déplaçables. Ils ne sont pas scellés. Certains modules servent aussi bien à fabriquer une banquette qu’un comptoir de boutique. Cette logique constructive permet à l’entreprise de fabrication d’optimiser le processus industriel tout en maintenant une grande diversité d’objets. On travaille à la fois l’économie de projet, l’écologie matérielle et la cohérence spatiale.

Quelles sont les origines de vos matériaux ?
Nous avons veillé à sourcer les matériaux en cohérence avec cette démarche. La terre cuite vient du Portugal. Le grès cérame émaillé, plus résistant, utilisé notamment pour les vestiaires et les carreaux muraux, est fabriqué en Normandie. Ce matériau évoque un imaginaire hygiéniste, très architectural, proche de celui du métro parisien. Il nous intéressait autant pour sa robustesse que pour son expressivité.

Le vert réséda, omniprésent dans l’architecture d’origine, a été un point d’appui. Nous avons choisi de ne pas l’utiliser directement, pour ne pas rivaliser avec l’existant, mais au contraire de le compléter, de le prolonger par d’autres tonalités : la terre, les blancs cassés, les beiges chauds. Nos interventions relèvent de l’échelle de la main, ce que l’on touche, ce que l’on manipule, ce que l’on suit du regard…

La boutique de la Place Centrale, au croisement des deux axes majeurs du Grand Palais, incarne bien notre approche. Elle est structurée par des parois en écailles de terre de Sienne. Ces écailles jouent un rôle acoustique, mais aussi narratif : elles se retrouvent dans d’autres points du bâtiment, créant une répétition maîtrisée. Nous avons également dessiné les tables publiques situées dans le périmètre gratuit, juste avant l’entrée des galeries. Elles reprennent le même langage matériel : terre, aluminium, grès. La signalétique suit la même logique. Nous avons travaillé par pochoirs, en sérigraphie, pour intégrer les indications directement sur les objets ou les parois. La typographie, la matérialité, la hauteur, tout a été conçu pour ne pas introduire une couche supplémentaire, mais au contraire pour faire parler les objets eux-mêmes. Le langage graphique est au service du langage spatial.

Il s’agit d’un travail commun avec François Chatillon architectes, comment cela s’est-il passé?
Nos échanges avec l’équipe de François Chatillon ont été constants, respectueux, fertiles. Il s’agissait d’une véritable coopération : nous avons réagi à leurs choix constructifs en ajustant nos matières, nos finitions, eux ont réagi aux nôtres. Il y a eu une forme de convergence naturelle. Nos points de départ étaient différents, mais l’ensemble est devenu cohérent. Les sols, les objets, les textures dialoguent, et le résultat est fluide.
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Restauration du Grand Palais / Les acteurs du projet
Maîtrise d’ouvrage : GrandPalaisRmn
Partenaire du projet : Universcience
Maîtrise d’œuvre restauration : Chatillon Architectes
Maîtrise d’œuvre aménagements/design/signalétique : équipe interdisciplinaire réunie par L’Atelier Senzu
Maitrise d’œuvre aménagement muséographique du Palais de la découverte : équipe multidisciplinaire réunie par Philéas et Casson Mann

Chiffres clés
78 portes en bois, dont 25 restaurées
104 portes fenêtres, toutes restaurées et améliorées (double vitrage, anti-UV, système d’ouverture mécanique)
21 nouveaux accès et issues de secours créés par percement dans la façade
29 ascenseurs / 8 monte-charges / 11 plateformes élévatrices
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Aménagements intérieurs / Les acteurs du projet
MOE mandataire : L’Atelier Senzu, architectes
Co-traitants :
– Samy Rio, designer
– 2X4, signaléticien
– Ducks Scéno, auditoriums
– Clarity, acousticien
– Mazet & Associés, économiste
Sous-traitants :
– 8’18’’, éclairagiste
– Espace Temps, bureau d’étude technique
– Bollinger+Grohmann, bureau d’étude structure
– Locomotion, bureau d’étude signalétique

Superficie Place Centrale : 1 000 m2
Superficie Salon Seine : 960 m2
Superficie Hall d’accueil : 951 m2
Superficie Rotonde Palais de la découverte : 781 m2
Superficie boutique de la Place Centrale : 127 m²
Superficie librairie-boutique Champs-Élysées : 219 m²
Superficie librairie-boutique Seine : 89 m²
Superficie vestiaires : 1026 m2 avec 654 casiers pour individuels et 30 casiers pour groupes + 208 m² des 2 grands blocs sanitaires
Superficie accueil des groupes scolaires : 531 m2 avec 66 casiers pour groupes et sanitaires adaptés
Superficie ateliers de médiation : 204 m²
Grand auditorium :
Superficie : 228 m2
Foyer : 180 m2
Jauge : gradin mobile : 238 places assises + 6 places dédiées aux PMR

Petit auditorium :
Superficie : 125 m2
Jauge : 94 places assises + 4 places dédiées aux PMR

Superficie bureaux des combles : 300 m2
Superficie galerie courbe sud : 646 m2

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