Le monde intellectuel perd une figure majeure avec la disparition de Françoise Choay, philosophe, critique d’art et historienne des théories urbaines et architecturales. Née le 29 mars 1925 à Paris, elle aura marqué plusieurs générations de chercheurs et praticiens par ses analyses lucides et ses contributions fondamentales.
Étudiante en philosophie, Françoise Choay débute sa carrière en tant que critique d’art. Collaborant dans les années 1950 à des revues comme France-Observateur, L’Œil et Art de France, elle est parmi les premières à écrire sur des artistes novateurs tels qu’Yves Klein et Jackson Pollock. Sa plume, empreinte d’une profondeur critique rare, la conduit rapidement à s’intéresser à des domaines plus vastes, notamment l’architecture et l’urbanisme.
Une réflexion critique sur l’urbanisme moderne
En 1965, elle publie L’Urbanisme, utopies et réalités, une anthologie critique réunissant 37 auteurs qui jette un éclairage inédit sur les sources intellectuelles et culturelles de l’urbanisme moderne. Ce livre, devenu une référence incontournable, interroge les pratiques en vigueur dans la France gaullienne et ouvre un débat sur les fondements théoriques de l’aménagement urbain.
Françoise Choay approfondit ces réflexions dans La Règle et le Modèle (1980), où elle oppose la rigidité des modèles urbains à l’approche générative d’un urbanisme fondé sur des règles souples et adaptables, exemplifiées notamment par les travaux de Haussmann. Elle défend une conception de la ville centrée sur le respect des désirs et besoins humains, en opposition à une standardisation aliénante.
Un engagement pour le patrimoine et l’échelle humaine
Dans les années 1990, ses travaux prennent une dimension nouvelle avec son intérêt pour le patrimoine. Avec L’Allégorie du patrimoine (1992), elle s’attache à explorer les origines et les enjeux de la conservation des lieux et des objets, tout en soulignant les dangers d’une patrimonialisation excessive, soumise à des logiques commerciales et touristiques. Cet ouvrage s’inscrit dans une critique plus large d’un urbanisme dominé par la technocratie et la perte de l’échelle humaine.
L’article marquant Le règne de l’urbain et la mort de la ville, publié en 1994 pour le Centre Pompidou, alerte sur l’impact des réseaux techniques sur la fabrication des villes. Elle y souligne l’urgence de réinventer un urbanisme respectueux de la dimension humaine et sensible des espaces.
Un legs intellectuel précieux
Jusqu’aux années 2000, Françoise Choay poursuit ses recherches, notamment avec Pour une anthropologie de l’espace (2007), recueil d’articles qui synthétisent la cohérence de son œuvre. Ses écrits, traduits et étudiés dans le monde entier, continuent de nourrir la réflexion contemporaine sur les enjeux urbains, patrimoniaux et environnementaux.
Professeure à l’Université de Vincennes, elle a formé plusieurs générations d’urbanistes et d’architectes, les incitant à repenser leur pratique à la lumière des grands textes fondateurs, de Leon Battista Alberti à Melvin Webber. Elle laisse également une empreinte durable en tant que directrice de la collection Espacements aux éditions du Seuil, où elle a rendu accessibles de nombreux classiques de l’urbanisme.
Françoise Choay, membre de l’Académie des arts de Berlin depuis 1999 et lauréate du prix du livre d’architecture en 2007, aura œuvré toute sa vie pour un urbanisme et une architecture pensés pour et avec l’humain. Son héritage, entre critique aiguisée et proposition constructive, reste une source d’inspiration précieuse pour bâtir les villes de demain.