Les Universalistes, 50 ans d’architecture portugaise aux éditions Parenthèses
S’il existait un théorème soutenant que le rayonnement architectural d’un pays n’est pas proportionnel à sa taille, le Portugal en serait la parfaite illustration. Cette nation de 10 millions d’habitants au sud de l’Europe, littéralement la plus à l’Ouest (le Cabo da Roca marque l’extrémité occidentale du Vieux Continent), occupe une place de premier plan dans le panorama mondial de l’architecture. Les deux figures de proue de la discipline, Alvaro Siza et Eduardo Souto de Moura sont très célèbres depuis le milieu des années 70 en France, où ils ont développé de fructueuses collaborations avec des architectes français bien avant d’atteindre la notoriété mondiale conférée par le Pritzker Prize. Gonçalo Byrne, les frères Aires Mateus, ont pris le relais des deux monstres sacrés, venant à leur tour construire dans l’Hexagone.
Ces liens expliquent l’intérêt particulier des Français pour la scène architecturale portugaise, qui serait porteuse d’un message universel diffusée bien au-delà de ses frontières. C’est le postulat soutenu par Nuno Grande, coordinateur de l’ouvrage Les Universalistes accompagnant l’exposition éponyme imaginée à l’occasion des 50 ans de la fondation Gulbenkian. Architecte et enseignant, Grande emprunte un concept forgé par Eduardo Lourenço, écrivain portugais installé depuis plus d’un demi-siècle en France, et le décline en cinq volets délimités par des temporalités historiques précises. Les deux premières se déroulent sur une même période, 1960-1974, mais traitent d’aires géographiques bien distinctes : celle, locale, d’une architecture portugaise reconnue presque par surprise par la critique internationale – d’abord par le biais de la Catalogne et de l’Italie – à partir d’une production situé au coeur du pays, et simultanément, l’internationalisation de fait, voyant l’expansion d’une autre architecture portugaise à travers l’empire colonial. La Révolution des Œillets (1974) débute le troisième chapitre de cet universalisme, suivi par l’ouverture à l’Europe avec l’adhésion du Portugal à la CEE en 1986. Le XXIe siècle voit un Portugal mondial, porté sans doute par le goût de la commande pour les grandes signatures, tropisme allant de pair avec l’émergence de la figure du starchitecte, recruté en priorité dans le bataillon des Pritzkers Prize.« Là-bas cette terre va de nouveau accomplir son idéal, et se transformer encore en un immense Portugal » : le propos de l’ouvrage rejoint la prophétie chantée par Chico Buarque dans son Fado Tropical. Avec ou sans colonies, le pays su accomplir son besoin de conquérir le monde non pour le dominer, mais pour exister.
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C’est ainsi que Siza, lauréat du « Nobel de l’architecture » en 1992, se voit confier d’important projet en Chine, lui dont la carrière s’enracine dans ce que Frampton appelait le « régionalisme critique », un vernaculaire acculturé au mouvement moderne. Ce paradoxe illustre parfaitement la vision ouverte et malléable de l’universalisme défendue par Grande. Soutenant une dynamique d’export bienvenue dans des temps de crise, la démarche s’inspire parfois des stratégies de diffusion de l’architecture hollandaise, qui ont beaucoup impressionné les architectes portugais. L’architecture portugaise n’a plus rien à lui envier en terme de notoriété : la Casa das Artes, la faculté d’architecture de Porto, la piscine de Leça de Palmeira sont des références familières que l’on retrouve au fil des pages de l’ouvrage, aux côtés d’une production des années 60 beaucoup moins connue et que l’on découvre avec étonnement. L’énergie et la liberté des bâtiments construits en Angola par différents architectes (Fernão Simões de Carvalho, José Pinto da Cunha, Viera da Costa), est saisissante, tout comme le brutalisme avant la lettre des églises et immeubles de bureau de Nuno Portas et Nuno Teotónio Pereira, ou celui du siège de la fondation Calouste Gulbenkian à Lisbonne (Jervis d’Athougia/Pessoa/Cid arch.), qui n’est pas sans rappeler le modernisme d’un Dubuisson. Citons enfin la Casa dos Bicos, (Vicente/Santa Rita arch) ou la Sagrada Familia d’Âmancio Guedes (Machava, Mozambique), seuls bâtiments à évoquer une veine post-moderniste bien plus vivace que ne le laisse à penser l’ouvrage. Comme bien d’autres, Grande et les auteurs du catalogue semblent mal à l’aise face à ce mouvement autrefois triomphant, dont l’expression formelle parait désormais difficile à assumer, en dépit de son intérêt et sa permanence. Reste un patrimoine moderne, dont les enjeux sont éclairés par des historiens et critiques chevronnés : Jorge Figueira, Ana Tostões, Dominique Machabert, compagnon de route de longue date de l’architecture portugaise, sans oublier les contributions de Jean Louis Cohen et Jacques Lucan.
Olivier Namias
Les Universalistes – 50 ans d’architecture portugaise, Nuno Grande (dir.), éditions Parenthèses/Fondation Calouste Gulbenkian/Cité de l’architecture et du patrimoine, Marseille/Paris/Paris, avril 2016, 322 p., 19,5×25,6 cm, 35€. ISBN 978-2-86364-311-2