Après la piscine Molitor, temple du graffiti, les Magasins Généraux, monument des années 30 d’un autre genre, en deviennent, la cathédrale.
Au tournant des années 2000, des graffeurs s’emparent de ces ateliers à ciel ouvert pour les matraquer de tatouages. Histoire parisienne du street art alors que le fameux vaisseau de Pantin fait peau neuve pour abriter l’agence de publicité BETC, en 2016.
Avant sa réouverture, la piscine Molitor en sursis enfermait dans son triangle de béton, paraphes et signatures de près d’une centaine artistes. De Busy Bee à Xare en passant par John One, tous avaient investi les bassins abandonnés d’un orage de couleurs et de formes, alors que les façades extérieures de l’édifice restaient muettes et décrépites. En Avril 2001, une « Rave Party » réunissait pour une sorte d’attentat sonore, près de cinq mille personnes dans l’énergie de ces tatouages contemporains. Si toutes les traces de ce passé ont désormais disparu, la nouvelle « Molitor » tente d’y rendre hommage notamment à travers l’exposition « Under the wave » où jusqu’en novembre dernier, le « street art » réinvestissait les lieux de manière beaucoup plus conventionnelle. Dans le sillage de ce « temple » qui protégeait son trésor, les Magasins Généraux de Pantin entendent aujourd’hui célébrer sa mémoire de « cathédrale » à l’imposante structure béton recouverte de graffitis, à l’intérieur comme à l’extérieur.
De Paris à Pantin
Pour Karim Boucherka, « c’est en 1982, que l’on entend parler pour la première fois en France de la culture hip-hop, lorsqu’une radio, Europe 1 décide de promotionner la tournée mondiale du New York City Rap Tour. A côté des danseurs et rappeurs, trois grands noms du graffiti, Dondi, Phase 2 et Futura 2000 font découvrir un nouveau courant de peinture qui existe à New York depuis les années 70. » Il faudra attendre 1983 pour que les parisiens voient apparaître les premiers graffs aux lettrages stylisés, remplis à l’aide de bombes de peintures et signés des tags de leurs auteurs. Des quais de Seine aux terrains vagues dont celui de Stalingrad, le graffiti parisien se forge son identité stylistique. Au début des années 90, le mouvement se scinde entre graffeurs à la recherche de lieux tranquilles pour peindre, et tagueurs, friands d’illégalité et de sensations fortes qui maculent d’écritures impopulaires le métro et la rue. Les grands murs collectifs, comme le Third Millenium ou le Tibet Libre à Bagnolet en 1999, marquent la fin de la période des terrains vagues à Paris. Poussés hors de la capitale, les « graffeurs de terrains » comme les appellent péjorativement les « vandales », trouvent refuge dans les banlieues où il reste des lieux en friche pour peindre.
« Lek vs Architecture »
Investissant en 2006, les bâtiments des anciennes douanes de Pantin, le graffeur Lek comme d’autres (Hoctez, Tchug, Honet ou encore Natio, Stone et Legz ) cherchent alors à inventer des styles s’ajustant à tous les reliefs et types de murs. « Quand nous sommes entrés pour la première fois dans cet endroit, nous avons juste fait une ou deux peintures avec le peu de matériel que nous avions apporté et nous avons passé le reste du temps à visiter pour en découvrir son potentiel. »
Portails rouillés, salles en parpaings et murs en briquettes vont devenir des supports privilégiés dans cette immense structure offrant différents points de vue. Développant son « style parasitaire » à base de flèches pour épouser au mieux les reliefs, Lek met au point un concept qu’il nomme « Lek vs Architecture » pour notamment conquérir les façades intérieures du bâtiment. Si les magasins généraux au fil du temps sont de plus en plus visités pour Lek, « le principal est bien d’avoir été le premier dans les lieux pour pouvoir prendre la place qui me convenait sans contrainte». Cette histoire du « Graffiti général » se termine à l’été 2012, quand le comité départemental du tourisme du 93 confie en toute légalité dans le cadre de l’été du Canal, l’édifice aux graffeurs Marko, Popof et Da Cruz qui se concentrent quant à eux, sur les façades extérieures.
Courtesy: Graffiti Général. Les magasins généraux (c) BETC, photo Yves Marchand et Romain Meffre