AccueilActualitéHerzog & de Meuron : l’architecture comme matière critique

Herzog & de Meuron : l’architecture comme matière critique

En distinguant Jacques Herzog et Pierre de Meuron du Grand Prix d’architecture 2025 de l’Académie des beaux-arts, l’institution française salue plus qu’un parcours : une pensée. À travers cette reconnaissance, c’est toute une conception de l’architecture, entre matérialité, recherche et engagement culturel, qui se trouve mise à l’honneur.

La reconnaissance d’une architecture mondiale
Le Grand Prix de l’Académie des beaux-arts en architecture, remis ce 15 octobre à Jacques Herzog sous la Coupole du Palais de l’Institut de France, dépasse le simple hommage à deux figures déjà couronnées par les distinctions les plus prestigieuses – du Prix Pritzker (2001) au Praemium Imperiale (2007). Ce choix dit quelque chose de la manière dont l’Académie, institution historique du paysage artistique français, entend aujourd’hui redéfinir son rapport à la création contemporaine.

Fondés à Bâle en 1978, Jacques Herzog et Pierre de Meuron ont imposé une œuvre à la fois ancrée dans la rigueur constructive et ouverte à la dimension plastique. Leurs projets – de la Tate Modern à Londres à l’Elbphilharmonie de Hambourg – incarnent une architecture devenue langage mondial, identifiable sans jamais se répéter. Qu’une institution française, longtemps attachée à la défense d’une culture nationale, consacre ces deux architectes suisses traduit une volonté d’ouverture, mais aussi la reconnaissance d’une architecture comme art de la transformation plutôt que comme simple production d’objets.

La matérialité comme pensée
Ce qui singularise l’œuvre d’Herzog & de Meuron, c’est moins la signature formelle que le rapport à la matière. Le béton, la pierre, le bois, le métal : autant de substances qui, sous leur regard, deviennent vecteurs de perception. Chaque projet naît d’un travail d’exploration sensorielle et constructive où la technique s’efface derrière l’expérience du lieu. Cette approche, héritière à la fois du rationalisme d’Aldo Rossi – leur professeur à l’ETH Zurich – et des avant-gardes artistiques européennes, place la matérialité au cœur d’une démarche critique. Dans leurs projets, la structure ne dissimule pas la pensée mais l’incarne bel et bien. Du CaixaForum de Madrid suspendu au-dessus de la rue, aux Beirut Terraces qui empilent les strates du paysage, chaque œuvre interroge la densité du réel, la permanence et la transformation.

L’ouverture à d’autres disciplines
Herzog & de Meuron n’ont jamais conçu l’architecture comme un domaine clos. Leur dialogue constant avec les artistes – de Rémy Zaugg à Ai Weiwei, en passant par Thomas Ruff ou Michael Craig-Martin – révèle une volonté de confronter la construction à la représentation, le bâtiment à l’image. Une porosité entre art et architecture qui traduit une pensée interdisciplinaire où le projet devient espace de médiation culturelle.

Cette ouverture s’étend à la pédagogie. Par l’ETH Studio Basel, laboratoire fondé en 1999, ils ont fait de la recherche urbaine un outil critique pour comprendre les transformations territoriales. À la Harvard Graduate School of Design, ils transmettent une vision de l’architecture comme production de connaissance, un champ où l’expérimentation technique se double d’un engagement théorique.

Une reconnaissance française, un regard sur la discipline
La remise du Grand Prix revêt donc une portée symbolique. Elle signale la volonté de l’Académie de réinscrire l’architecture au cœur du champ artistique, à égalité avec la peinture, la sculpture ou la musique. En saluant deux praticiens qui ont su faire de chaque projet une articulation entre art, technique et société, l’institution reconnaît l’architecture comme un discours culturel à part entière.

En distinguant Herzog & de Meuron, l’Académie des beaux-arts ne récompense pas seulement deux architectes, elle affirme la pertinence de leur démarche, celle d’une architecture de la pensée matérialisée ; elle rappelle que l’architecture demeure un acte culturel, un champ de recherche et d’expérimentation.

ARTICLES SIMILAIRES

A lire aussi