La Défense possède ses icônes, et la Tour Ariane en est l’une des plus singulières. Livrée en 1975 par Jean de Mailly, elle appartient à cette « seconde génération » de tours qui, tout en prolongeant l’élan fondateur du quartier d’affaires, s’en affranchissent pour explorer de nouveaux rapports entre structure, enveloppe et espace public. Cinquante ans plus tard, BauMont Real Estate et Catella Aquila Investment Management engagent sa renaissance. Ils confient à Nouvelle AOM – le collectif réunissant Franklin Azzi, ChartierDalix et Hardel Le Bihan – la mission délicate de transformer un objet marqué par les codes architecturaux de la fin du XXᵉ siècle en une tour ouverte, performante et durable, pleinement accordée à l’urgence climatique contemporaine.
Continuités et transformations
La force du projet tient à un parti : ne pas effacer. Il s’agit de travailler avec l’existant, de laisser apparaître la structure de béton armé, la trame répétitive, la présence des fameux hublots qui ponctuaient les façades derrière les boucliers cruciformes en aluminium – signature visuelle autant que filtre technique. Nouvelle AOM relit cette grammaire constructive comme un palimpseste plutôt qu’un obstacle. « Sublimer l’héritage architectural et technique » tout en projetant l’édifice dans un horizon environnemental exigeant, résume Jean‑Marc Sabiani (Catella Aquila Investment Management). Ce principe de continuité n’est pas conservateur : il autorise la transformation des couches, la substitution d’une matérialité à une autre, la recomposition des espaces bas, pour mieux faire apparaître ce qui faisait déjà la singularité d’Ariane.



La façade, moteur de transformation
L’intervention la plus spectaculaire, et sans doute la plus stratégique, réside dans la refonte complète de l’enveloppe. Là où l’édifice originel associait panneaux préfabriqués en béton et trame de hublots protégés par des boucliers métalliques rapportés, la tour reçoit aujourd’hui une « robe de verre » continue, tramée selon le rythme structurel existant. Chaque module reprend l’alignement des percements d’origine : devant chaque hublot, un vitrage clair toute hauteur ; devant chaque allège, un élément vitré opacifié. Ce dispositif double effet – révélation et protection – libère des vues, accroît la lumière naturelle et, surtout, constitue une isolation par l’extérieur performante. La façade porte désormais une fonction climatique que l’enveloppe initiale n’assumait que partiellement.

La précision du détail a permis de minimiser la présence visuelle des cadres, afin que la structure bétonnée reste lisible en filigrane. De jour, la transparence contrôle la profondeur et nuance la perception du volume monolithique originel ; de nuit, l’éclairage intérieur redessine la ponctuation des hublots, reconstituant à distance la mémoire de la peau première sous un régime lumineux contemporain. Ce jeu sur les temporalités inscrit le bâtiment dans un dialogue permanent entre histoire matérielle et expression actuelle.
Performances thermiques et sobriété des systèmes
Cette enveloppe secondaire n’est pas un simple geste esthétique : elle constitue l’axe principal de la stratégie énergétique. En créant un manteau isolant continu devant la façade porteuse en béton, le projet réduit les déperditions et stabilise les échanges thermiques. Les simulations énergétiques et objectifs de performance se traduisent par une baisse attendue de l’ordre de 30 % des besoins en chauffage et climatisation, ce qui se répercute sur la consommation des locataires avec une réduction estimée à 21 %. La tour vise la certification BREEAM RFO au niveau Very Good, et s’inscrit dans la trajectoire réglementaire du décret tertiaire 2030. Dans un parc tertiaire dense où la démolition‑reconstruction représente un coût carbone considérable, l’amélioration enveloppe + optimisation des systèmes constitue une réponse opérationnelle et réplicable.

Réemploi, réversibilité et mémoire matérielle
La transformation d’Ariane s’illustre par un effort de circularité rarement atteint à cette échelle. Les boucliers déposés de la façade originelle sont recyclés à hauteur de 93 % et le vitrage approchait le plein réemploi. Loin d’être relégués à la filière matière, 290 de ces boucliers réapparaissent au rez‑de‑chaussée, suspendus en un lustre magistral qui condense, dans l’espace d’accueil, la mémoire de la tour d’origine. Ce geste de design intérieur matérialise une équation vertueuse : valoriser un déchet de dépose comme élément symbolique, produire un repère spatial, relier usagers et récit architectural.
Réancrer la tour : transparence, porosité et nouveaux usages au socle
Historiquement, l’accès nord de la tour ouvrait de plain‑pied sur la dalle de La Défense, mais les interventions successives – pavillon d’accueil en 1995, agrandissement du hall au début des années 2000 – avaient épaissi et partiellement opacifié le contact au sol. La rénovation actuelle redessine entièrement ce dispositif. Un nouveau pavillon vitré, orienté au nord et donc naturellement protégé des surchauffes directes, rétablit un rapport plus continu entre intérieur et parvis. La trame Nord‑Sud du pavillon prolonge celle de la tour, assurant une cohérence tectonique perceptible dès l’entrée.
À l’intérieur, le socle est reprogrammé comme un espace de service actif. On y retrouve des usages empruntés à l’hôtellerie contemporaine : accueil ouvert, café, salon d’attente, espaces de rencontre informelle. Entre les niveaux bas se développe un business center d’environ 750 m² comprenant auditorium, salles de réunion et beauty center, offrant aux locataires une gamme de services mutualisés qui renforce l’attractivité de la tour et sa capacité à accueillir des formes de travail hybrides. L’acoustique, enjeu clé dans ces volumes largement vitrés, a fait l’objet d’un traitement spécifique ; les boucliers historiques réemployés participent à la fois à l’absorption et à la narration.
Ariane comme prototype de la rénovation de grande hauteur
À l’heure où la réhabilitation lourde des tours des années 1960‑1980 devient une question stratégique pour la neutralité carbone, Ariane propose une méthodologie : lecture fine de la structure existante, ajout d’une enveloppe climatique indépendante et tramée sur le porteur, phasage en site occupé, réemploi visible et signifiant, reprogrammation des rez‑de‑ville pour reconnecter les actifs tertiaires à l’espace public.
Le projet montre ainsi qu’il est possible d’atteindre des gains énergétiques significatifs sans effacer la dimension historique ni recourir à la démolition. Une opération culturelle autant que technique, qui choisit la transformation comme acte de projet.
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Programme : Rénovation environnementale, changement des façades, réaménagement des espaces d’accueil et création d’un business center
Maître d’œuvre : Architecte mandataire : La Nouvelle AOM (Franklin Azzi, ChartierDalix, Hardel le Bihan)
Maître d’ouvrage : Euro Ariane SAS représenté par Baumont Real Estate Capital et Catella Aquila Investment Management
Assistant à maîtrise d’ouvrage : Redman
Aménageur : Paris La Défense
Photos : Nicolas Trouillard