AccueilActualitéPritzker 2025 : Liu Jiakun, une architecture de la résilience

Pritzker 2025 : Liu Jiakun, une architecture de la résilience

Le 4 mars 2025, le prix Pritzker a récompensé Liu Jiakun, architecte chinois dont l’approche sensible et pragmatique transforme en profondeur l’expérience de l’espace urbain. Peu connu hors de Chine, Liu Jiakun s’est distingué par son attachement aux réalités sociales et culturelles de son pays, dont les projets transcendent les conventions esthétiques et formelles pour répondre aux besoins concrets des habitants.

Une approche contextuelle et humaine de l’architecture
Contrairement à de nombreux lauréats du prix Pritzker, Liu Jiakun a exclusivement construit dans son propre pays. Inscrite dans une démarche où le projet naît de l’environnement et des ressources locales, son œuvre se caractérise par une économie de moyens et une attention aux usages quotidiens. Si l’architecte ne cherche pas à imposer une signature formelle, il cherche au contraire à concevoir des espaces qui favorisent la cohabitation et stimulent les interactions sociales. Une approche qui se manifeste dans des réalisations au typologies variées : musées, logements, bureaux, réhabilitations de sites industriels, espaces publics, et même une maternité pour pandas. À travers chacun de ses projets, Liu Jiakun interroge en effet les manières d’habiter la ville et la façon dont l’architecture peut réinjecter de la vitalité dans des environnements standardisés.

Le West Village de Chengdu : une alternative aux modèles urbains dominants
L’un de ses projets phares, le West Village à Chengdu, illustre parfaitement son approche. Conçu pour rompre avec la monotonie des tours d’habitation modernes, cet immense complexe en forme de U intègre un vaste jardin paysager et un stade de football en son cœur. La toiture, en partie végétalisée, est aménagée en promenade accessible aux piétons et aux cyclistes. Une structure de passerelles métalliques vient compléter l’ensemble, reliant les toits au niveau de la rue et créant une continuité urbaine fluide.
Au-delà de son expression architecturale, le West Village est un véritable manifeste en faveur d’une ville plus poreuse et plus vivante : en y intégrant des commerces, des infrastructures sportives et des espaces de rencontre, Liu Jiakun a su générer des dynamiques collectives, utilisant l’architecture comme un catalyseur de lien social. Ce projet est représentatif de sa philosophie : une architecture qui, plutôt que de dominer son contexte, en épouse les contours pour mieux le revitaliser.

Une sagesse architecturale
Liu Jiakun conçoit l’architecture comme un outil de transformation sociale et culturelle et non un exercice de style. Son approche se distingue en cela par son absence de dogmatisme : loin de revendiquer un langage architectural, il prône une capacité d’adaptation à chaque contexte. Le jury du Pritzker a salué cette posture, soulignant sa manière de « manipuler les réalités contemporaines pour proposer de nouveaux scénarios de vie quotidienne. Son travail s’éloigne des modèles standardisés et explore des solutions ancrées dans le bon sens et la sagesse populaire. »

Deuxième architecte chinois à être distingué par le prix Pritzker après Wang Shu en 2012, Liu Jiakun revendique toutefois une différence notable avec son prédécesseur. Si Wang Shu valorise en effet l’artisanat et les techniques traditionnelles, Liu Jiakun s’intéresse quant à lui aux matériaux contemporains et aux infrastructures existantes qu’il détourne pour créer de nouveaux usages.

Un architecte profondément enraciné
Se présentant avant tout comme « un architecte de Chengdu », Liu Jiakun revendique un lien intime avec sa ville natale. À l’opposé des grands centres de décision architecturale, Chengdu offre en effet un cadre plus apaisé, où le temps et l’espace sont vécus différemment. Cette atmosphère se retrouve dans ses projets, qui privilégient la fluidité des parcours et les espaces où l’on prend le temps de vivre.
Son parcours personnel illustre par ailleurs cette sensibilité. Né en 1956 dans une famille de médecins, il s’oriente tout d’abord vers la peinture et la littérature avant d’être dirigé vers l’architecture. Marqué par un séjour de « rééducation » dans les campagnes chinoises, il comprend l’importance des savoir-faire locaux et du rapport au territoire. Cette expérience façonne son regard, l’incitant à toujours intégrer la réalité matérielle et sociale dans ses projets.

Des œuvres ancrées dans l’histoire et le paysage
Son premier projet d’envergure, le Musée des sculptures de pierre de Luyeyuan, est manifeste de cette approche. Niché dans une forêt de bambous, cet ensemble de monolithes gris entre lesquels coule une rivière témoigne d’un subtil travail sur la lumière et la matière. Ce dialogue entre architecture et nature devient un leitmotiv dans son œuvre.
Liu Jiakun ne se contente pas d’une approche contemplative, il fait de l’architecture un outil d’adaptation et de résilience. Après le séisme du Sichuan en 2008, il développe une méthode de fabrication de briques à partir des gravats des bâtiments détruits. Ce geste, au-delà de sa dimension écologique, est une réponse concrète aux défis de la reconstruction.

Le Mémorial Hu Huishan, conçu en 2009, incarne cette même philosophie. Financé sur ses fonds propres, ce projet dédié à une adolescente victime du séisme prend la forme d’une petite maison aux murs roses, où sont conservés ses objets personnels. Ce mémorial intime et anti-monumental illustre enfin l’aptitude de Liu Jiakun à concevoir des espaces de mémoire empreints d’émotion et de simplicité.
En consacrant Liu Jiakun, le jury du Pritzker met à l’honneur une vision humble et essentielle de la discipline, où l’architecture redevient un outil de dialogue, d’adaptation et de transformation sociale.

ARTICLES SIMILAIRES

A lire aussi