« Nos métiers façonnent les villes et les paysages de demain. Pourtant, derrière les discours sur la transition écologique et l’innovation, nous sommes de plus en plus contraints à travailler gratuitement, au risque de voir disparaître nos entreprises et nos savoir-faire. »
#TravailGratuit : la maîtrise d’œuvre au bord de la rupture
« Nous sommes architectes, paysagistes concepteurs, ingénieurs – des femmes et des hommes qui, chaque jour, dessinons, calculons, imaginons et rendons possibles les lieux où vous vivez, travaillez et respirez. La plupart d’entre nous dirigeons de petites ou moyennes entreprises. Nous employons, nous formons, nous engageons notre responsabilité et, souvent, nous nous battons pour maintenir nos structures à flot.
Or, malgré cette réalité entrepreneuriale, malgré la valeur de notre expertise, malgré l’importance cruciale de notre rôle dans l’aménagement du territoire, nous nous retrouvons trop souvent confrontés à une pratique qui porte un nom simple et terrible : le travail gratuit. »
Une économie fragilisée, des délais démesurés
« La loi a fixé des délais de paiement : trente jours. La réalité en impose soixante, parfois davantage. Et ce glissement, qui semble anodin sur le papier, devient une plaie béante lorsqu’il s’ajoute à une conjoncture inédite : une crise d’activité qui, depuis la Seconde Guerre mondiale, n’avait jamais frappé le bâtiment avec une telle violence. Tout ralentit. Les arbitrages financiers s’éternisent. Et nous, nous ne pouvons facturer que lorsque l’étude est validée alors que les dépenses réalisées sont, elles, payées – salaires, charges, loyers. Résultat : des semaines, des mois, parfois plus d’un an de décalage entre le travail accompli et le droit de facturer. Entre-temps, nos trésoreries s’assèchent et nos entreprises vacillent. »
Le concours d’architecture, miroir d’une dérive
« Le cas des concours est emblématique. En France, cette culture a longtemps été synonyme d’émulation créative et de qualité architecturale. Mais aujourd’hui, elle s’est muée en piège économique. En moyenne, une trentaine de personnes, dix compétences, deux mois de travail acharné pour déposer un projet. Puis vient l’attente : six mois, parfois plus, pour une décision. Dans l’intervalle, des demandes de compléments, des ajustements, des négociations… et toujours aucune facture possible. Une année de travail suspendue dans le vide. Pire encore : les indemnités, déjà insuffisantes, fondent. Elles ne couvrent plus le dixième des heures mobilisées, alors même que les exigences explosent sous le poids des normes et réglementations. Ce dispositif, pensé jadis pour soutenir l’architecture, menace désormais de tuer ceux qui la portent. Le relèvement du seuil d’accès au concours, tel qu’annoncé par l’actuel Premier ministre, fragilise encore un peu plus le lien entre la profession et la commande publique. Lorsqu’un investissement de plusieurs millions d’euros est envisagé pour une réalisation destinée à être habitée durant plus d’un demi-siècle, il apparaît essentiel, presque naturel, de confronter plusieurs scénarios. Cette mise en perspective, qui s’impose d’elle-même, constitue une démarche responsable, éclairée et pleinement soutenable au regard des enjeux collectifs qui s’y rattachent. »
La vulnérabilité des structures et la nécessité d’un cadre équitable
« Au-delà du seuil d’accès aux concours, c’est l’ensemble de la condition des professionnels qui mérite d’être interrogé. Nos structures se trouvent aujourd’hui prises entre la juste protection de nos salariés et l’extrême volatilité de notre travail : projets ajournés du jour au lendemain, délais de validation non respectés par les maîtres d’ouvrage, et aucune compensation à la hauteur des pertes subies.
Les contrats, tels qu’ils sont conçus, nous exposent à une double contrainte : d’un côté, l’obligation d’assurer nos missions jusqu’au bout, y compris face à des imprévus ou des prolongations de chantier, et de l’autre, une rémunération complémentaire qui reste dérisoire par rapport au surcroît de travail. Sur certains chantiers, nous cumulons ainsi des mois — parfois plus d’une année — de travail gratuit, un constat que les agences vivent au quotidien avec frustration et inquiétude. »
Le paradoxe du XXIe siècle
« Nous voyons bien la contradiction. On nous demande d’incarner la transition écologique, d’intégrer biodiversité, ressources renouvelables, sobriété énergétique… mais on nous dénie notre propre droit à une économie viable. Comment transformer les villes, les bâtiments, la vie quotidienne des Français, si nous sommes maintenus dans une insécurité permanente ? »
Une alerte pour l’avenir
« Au-delà des concours, c’est l’ensemble de nos missions de maîtrise d’œuvre qui est gangrené par ce décalage systématique entre travail fourni et paiement différé. La raréfaction de la commande accentue encore le phénomène. Nos marges sont laminées. Les jeunes talents, pourtant passionnés, désertent une profession qui ne leur offre plus de perspectives. Les jeunes architectes réalisent en grande majorité, leur formation pour l’inscription à l’ordre (Habilitation à la maitrise d’œuvre en son nom propre – H.M.O.N.P.) en congé sans solde. Des agences ferment, des savoir-faire disparaissent. Ce n’est pas seulement notre profession qui s’affaiblit : c’est la qualité même de nos villes et de nos territoires qui s’en trouve menacée. »
Pour une commande responsable
« Il est urgent de refonder le lien entre commanditaires publics et privés et ceux d’entre nous qui portent la conception du cadre de vie. La commande ne peut plus ignorer la réalité économique des acteurs qui la rendent possible. Nous appelons à une prise de conscience nationale. Syndicats, ordres professionnels, maîtres d’ouvrage publics et privés : réunissons-nous. Redéfinissons un cadre respectueux. Restaurons un véritable partenariat. Refusons que la maîtrise d’œuvre devienne le maillon sacrifié de la construction en France. Car au bout du compte, défendre notre dignité et la viabilité de nos métiers, c’est défendre bien plus qu’une profession : c’est défendre la capacité collective de bâtir les espaces du XXIe siècle. »
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