Présenté dans le cadre de la 5ᵉ édition du Festival Close-Up – rendez-vous ambitieux dédié à la rencontre entre cinéma, ville, architecture et paysage, qui se tient actuellement et jusqu’au 25 novembre 2025 à Paris et en Île-de-France* – le nouveau film de Gianfranco Rosi, Pompei, sotto le nuvole, trouve une résonance singulière avec les thématiques du festival.
En retournant l’un des sites archéologiques les plus célèbres au monde comme un miroir tendu à notre époque incertaine, Gianfranco Rosi prolonge la réflexion sur la manière dont les lieux façonnent nos récits, nos mémoires et nos fragilités. Le réalisateur, déjà récompensé par un Lion d’or à Venise pour Sacro GRA et un Ours d’or à Berlin pour Fuocoammare, signe ici sans doute son film le plus libre, le plus ample, et peut-être le plus beau. Tourné dans un noir et blanc velouté, presque funéraire, le film évolue dans une lumière de crépuscule permanent, comme si la ville ensevelie reposait encore sous la menace des nuées du Vésuve. Rosi, fidèle à son approche impressionniste, compose moins un documentaire qu’un poème visuel, une méditation inquiète sur la précarité de toute existence, qu’elle soit antique ou contemporaine.
Pompéi, dévastée en 79 après J.-C. et ressuscitée par les fouilles, n’a jamais cessé d’accueillir les projections du monde moderne. Pour Rosi, ce lieu fonctionne comme une matrice idéale : un espace où les couches du temps se superposent au point de rendre toute chronologie indistincte. Autour des ruines surgissent des figures du présent, une conservatrice du musée archéologique de Naples qui restaure les statues oubliées, un préfet qui arpente les tunnels du site et y repère tout autant les traces des fouilles que celles des pillages, un marin syrien bloqué entre deux pays en guerre, un vieil instituteur de rue s’obstinant à transmettre son savoir, ou les voix inquiètes, parfois absurdes, d’un centre d’appels des pompiers. Tous semblent flotter dans une même atmosphère suspendue, comme si le drame ancien de Pompéi n’avait jamais vraiment cessé, et que les catastrophes modernes prolongeaient silencieusement son onde sismique.
Rosi pousse plus loin encore son exploration en retournant le cinéma sur lui-même. Dans une salle vide, peut-être déjà abandonnée, se projettent des extraits de films consacrés à Pompéi. Parmi ces fragments, Rosi choisit une scène de Voyage en Italie de Roberto Rossellini. Ingrid Bergman et George Sanders, au bord de la rupture, y découvrent les corps enlacés d’un couple antique saisi par l’éruption. Cette vision, miraculeusement figée dans l’éternité de la cendre, bouleverse leur décision de se séparer. Pour Rosi, cette étreinte fossilisée devient la métaphore de tout son projet : l’image comme lieu où se rejoignent l’amour, la mort et le temps, dans une suspension qui défie la finitude.

Le film s’ouvre sur une phrase de Jean Cocteau : « Le Vésuve fabrique tous les nuages du monde. » Rosi semble en avoir fait son programme. Son film ne cherche ni la carte postale napolitaine ni la reconstitution historique. Il s’enfonce plutôt dans un nuage mental où les repères géographiques se dissolvent. Les vapeurs lourdes du ciel se mêlent aux galeries souterraines du musée de Naples ; les statues disloquées rappellent les corps moulés de Pompéi ; les voix du présent ressemblent à des survivances d’autres âges. Même le blé ukrainien transporté par le navire syrien finit par résonner comme un écho contemporain de la catastrophe antique. Tout semble conspirer pour tisser un réseau de correspondances entre le passé enseveli et l’avenir incertain de notre monde.
Pompei, sotto le nuvole n’est ni un documentaire historique ni un essai politique, et pourtant il dialogue avec les deux. C’est un poème noir et blanc sur la fragilité des existences, un film qui parle du passé pour mieux décrire les tremblements d’aujourd’hui. Qu’on se laisse gagner par son rythme lent, par sa beauté mélancolique, et quelque chose finit par toucher, presque à notre insu : la sensation que, comme la ville antique, nous avons déjà un pied dans la cendre, et que le cinéma, en fixant cette poussière, nous en renvoie le reflet.
*Festival Close-Up 2025
Du 17 au 25 novembre 2025
Pour en savoir plus : https://archicree.com/2025/10/23/festival-close-up-2025/



