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L’expressivité de la matière, selon Ellena Mehl Architectes

« Les espaces construits les plus émouvants sont ceux où le rêve qui les souleva et leur donna forme continue d’agir ». Les mots de Jean-Christophe Bailly ne pourraient mieux définir le processus périlleux de la transformation du déjà-là. C’est pourtant la démonstration qu’en font les architectes Hervé Ellena et Stéphanie Mehl (Ellena Mehl Architectes) pour cette opération de 13 logements sociaux Cité Charles Godon à Paris pour la RIVP.

photographies : Hervé Ellena et Tilt and Shoot

Donner forme, c’est ce que propose cette transformation de bureaux en logements à laquelle se greffe une extension. Le projet – exposé au pavillon de l’Arsenal en 2018 dans le cadre de l’exposition HABITER PLUS HABITER MIEUX – porte en effet fièrement sa « double signature », celle de l’existant et celle de la nouveauté. Révélant toute la poésie de l’endroit.

Nous sommes rue Milton dans le 9e arrondissement de Paris, plus exactement à l’angle de cette voie en pente douce sur un demi kilomètre. En cœur d’îlot, la parcelle est engoncée de toutes parts. D’un côté un hôtel particulier faubourien, dont les façades d’une blancheur de plâtre sont rehaussées de quelques balustres filants. De l’autre, une façade haussmannienne sur rue faite de briques et de pierres, conçue en 1897 par Louis-Raphaël Loiseau, architecte de la ville et du département. Siégeait ici un bureau auxiliaire du Mont-De-Piété, devenu par la suite une antenne de « Pôle emploi ». Une servitude de vue limite alors l’hôtel particulier à un discret R+2. Toujours en vigueur la contrainte oblige dès lors les architectes en charge d’installer ici un tout autre programme à envisager l’espace au sol avec la plus grande finesse.

Processus de transformation
L’histoire avait déjà fourni son lot d’ajustements. Le bâtiment à la façade assez mince, un couloir à l’arrière et une grande vitrine d’angle ainsi qu’une halle métallique de plan octogonal occupant une partie de la cour (la salle d’engagement où les Parisiens pouvaient venir mettre au clou leurs biens), s’est en effet vu transformer pour répondre au programme de l’agence nationale. La vitrine d’angle supprimée, des escaliers furent ajoutés et la halle métallique rhabillée de zinc. Les plateaux, débarrassés de leur décorum, furent alors transformés en bureaux ordinaires. Le dessin général composite néoclassique – voire baroque avec son fronton entrecoupé – inspire toutefois les deux architectes. De même le dialogue entre la verticalité des pilastres d’une part – une progression dans le dessin des modénatures de façade sur rue selon le principe des ordres classiques – et l’horizontalité d’autre part soulignée par les corniches, le chaînage et les appuis de baies.

Composition kaléidoscopique
Entre une façade de briques et de pierre et un mur de soutènement de près de 8 mètres de haut, il s’agissait donc pour les deux associés de créer 13 logements sociaux, les plus confortables et lumineux possible. Le projet tire parti de la faible épaisseur de l’existant pour créer une extension en demi-niveaux côté cour : trois niveaux sur rue et quatre à l’arrière, décalés et joints par des demi-volées d’escalier et un ascenseur traversant.

Côté rue le projet d’extension n’est quasiment pas perceptible, limité par la servitude de vue à une rehausse d’environ 50 cm par rapport à l’acrotère existant. C’est donc sur cour et dans les espaces intérieurs que la poésie opère. En façade tout d’abord, très détaillée, ouverte et vitrée, réalisée en béton blanc, où une succession de plans horizontaux formant deux arcs de cercle crée un double panorama en étrave sur le jardin en cœur d’îlot. Un soubassement d’arcades de béton blanc également vient accentuer l’effet d’encaissement du bâtiment et son ancrage au sol, avec des baies placées en retrait.

Un mur rideau en chêne facetté souligné par des verticales compose ainsi une façade kaléidoscopique, dont les trois niveaux identiques sont encadrés par une rive filante cintrée. Jeu de profondeurs et de reflets pour une réalisation qui semble ici s’amuser de la servitude de vue qui s’impose au lieu depuis des décennies.

Expressivité de la matière
Les espaces intérieurs relèvent d’une expressivité toute comparable. Les plateaux libres réaménageables sont articulés par une circulation centrale sur plan carré, mise en scène par un escalier aérien en serrurerie. Réinterprétation du déjà-là, les logements aux formes atypiques offrent des volumes lumineux, largement vitrés ou bénéficiant d’éclairage zénithal. La plupart traversants, ceux des derniers étages se développent en duplex.

Puis les matières. La nouvelle porte cochère, réalisée en chêne massif abouté, usiné en cannelures par fraisage, arbore des vitrages en écaille de verre maintenus dans une précieuse ossature en laiton. L’escalier à demi-volées, les garde-corps scellés sans rive basse, l’occultation intérieure assurée par des volets en bois (en façade nord), la mise en couleurs jouant sur les teintes pastels… Dans la montée d’escaliers, les marches, la structure verticale et les panneaux acoustiques muraux en paille de bois colorés créent une séquence tramée jusqu’au toit en forme de terrasse jardin.

La matière, les proportions, les modénatures justifiées par les contraintes spatiales et constructives de l’existant, l’expression juste des forces chère à Wölfflin, corniches, soubassements, tout ici est savamment dessiné. Jusqu’à cette tension si difficile à trouver entre nature structurelle et nature textile de l’architecture.

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Ellena Mehl Architectes
https://lnamel.com

Tilt and Shoot photographes pour l’architecture
https://www.tiltandshoot.com


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