Depuis sa création en 1980, Grimshaw façonne des bâtiments et espaces qui transforment les villes en lieux inspirants, durables et ouverts sur l’avenir. Présente à l’international tout en restant ancrée localement, l’agence adapte chaque projet à son contexte culturel, technique et sociétal. Grimshaw s’engage activement face aux enjeux climatiques et sociaux. Signataire de l’initiative Science Based Targets depuis 2020, elle conçoit des projets intégrant les principes de l’économie circulaire et de la conception durable. Son approche repose sur trois piliers : façonner la ville de demain, préserver la planète et placer l’humain au centre.
Un studio parisien à l’écoute des territoires
Installée à Paris depuis 2017, l’agence française de Grimshaw compte aujourd’hui une vingtaine de collaborateurs. Architectes formés au sein du groupe ou professionnels aguerris du territoire français, l’équipe intervient dans des domaines variés : logement, commerces, équipements publics, transports. Lauréate de deux gares du Grand Paris Express, Grimshaw Paris poursuit son développement avec des projets d’envergure. À Toulouse, la passerelle Rapas, en cours de réalisation, incarne parfaitement sa démarche : une infrastructure élégante, fonctionnelle et intégrée dans son environnement.
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Alice Barrois, un ancrage local pour une vision globale
À la tête du studio parisien, Alice Barrois incarne la vision de Grimshaw en France. Architecte expérimentée, elle pilote le développement de l’agence avec une attention particulière à l’impact environnemental, à l’innovation et à la qualité de l’expérience usager. Nous l’avons rencontrée pour parler de son parcours, de ses convictions et des perspectives de Grimshaw Paris.
Entretien

Grimshaw France a été fondée en 2016. Quelles étaient les circonstances de son ouverture ? Pour quelles ambitions initiales ?
Grimshaw a commencé en France en 2017, par notre engagement sur le concours de maîtrise d’œuvre de la future ligne 15 Est du Grand Paris Express pour s’établir officiellement en 2021. Nous avons choisi d’ancrer localement notre présence pour porter les projets depuis le territoire même dans lequel ils s’inscrivent. Aujourd’hui encore, nous poursuivons cette approche : conjuguer une compréhension fine des spécificités culturelles, réglementaires et sociales du contexte français, avec l’expertise internationale que nous développons dans la transformation des infrastructures de transport, la résilience écologique et la ville post-carbone.
Studio agile au cœur de notre agence internationale, nous réunissons aujourd’hui une vingtaine de collaborateurs. Nos projets reflètent notre ancrage territorial, notre capacité à dialoguer avec les acteurs locaux, et notre engagement pour une architecture à la fois utile, contextuelle, innovante et durable.
Comment est organisée l’agence aujourd’hui ?
Aujourd’hui, Grimshaw en France fonctionne comme un studio à taille humaine, à la fois agile, collaboratif et ancré dans une dynamique de projet. Nous réunissons une vingtaine de personnes, aux profils diversifiés entre l’international et la France, qui partagent une culture commune du dialogue, de la rigueur et de l’innovation. Notre équipe est portés par des architectes expérimentés, capables de porter les projets dans leur globalité, tout en développant des collaborations étroites avec nos partenaires de maîtrise d’œuvre ou d’entreprise.
Nous revendiquons une approche anglo-saxonne, méthodique et analytique, qui met en valeur la capacité à générer des options, à objectiver les choix, et à accompagner les maîtres d’ouvrage dans leur processus de décision. C’est une méthode qui favorise l’adhésion des parties prenantes, et qui permet de faire émerger des projets justes, robustes et partagés. L’intelligence collective, la compréhension fine des contextes, et l’attention portée aux usages sont au cœur de notre organisation.
Quels sont les projets actuellement en cours ?
Grimshaw mène actuellement en France plusieurs projets qui transforment en profondeur les territoires, en proposant des alternatives plus sobres à la mobilité et à la fabrique de la ville. Ils ont en commun une ambition forte : concevoir des infrastructures résilientes, inclusives, à faible impact carbone, capables d’accompagner les évolutions des modes de vie.
Parmi eux figure la future gare La Défense pour la ligne 15 Ouest du Grand Paris Express. Insérée au cœur de l’un des plus grands hubs multimodaux d’Europe, cette nouvelle gare souterraine vise à fluidifier les flux, améliorer l’expérience usager dans les espaces souterrains, et renforcer le lien avec le territoire de Puteaux, notamment autour du carrefour de la Rose-de-Cherbourg. Ce projet, porté par le groupement Intencités15 mandaté par Vinci Construction Grand Projet, illustre notre capacité à intégrer les contraintes techniques d’un ouvrage complexe tout en gardant une vision urbaine et humaine.
Autre projet majeur : la ligne TEOL (Tramway Express de l’Ouest Lyonnais), remportée en avril 2025 aux côtés d’Egis, Atelier Schall et Gautier+Conquet, pour le compte de SYTRAL Mobilités. Cette nouvelle ligne de 3 km, dont près de la moitié en souterrain, reliera l’ouest lyonnais au centre de la métropole. Nous concevons la station souterraine Charcot-Provinces, conçue pour accueillir 55 000 usagers quotidiens. C’est un projet de mobilité durable et intuitive, à l’échelle d’un quartier résidentiel, où l’infrastructure s’efface au profit de la lisibilité des parcours et de l’accessibilité.
Enfin, la passerelle piétonne et cyclable Robert Poujade, récemment livrée à Toulouse en collaboration avec ppa architectures, Ingérop et Eiffage, relie l’île du Ramier au quartier du Fer à Cheval. Cet ouvrage à haubans de 160 mètres incarne une architecture sobre, contextuelle, respectueuse du paysage fluvial. Elle devient un trait d’union entre ville et nature, infrastructure et promenade.
Au-delà de ces projets emblématiques, nous nous engageons de plus en plus sur des démarches de transformation urbaine ou de réemploi du bâti, où l’existant est une ressource à part entière. C’est dans ces projets de reconversion que se joue, selon nous, l’avenir d’une architecture à impact positif.
Comment parvenez-vous à concilier l’identité d’une agence internationale avec les spécificités culturelles, réglementaires et sociales des projets locaux ?
Tout commence par l’écoute et l’analyse. Chaque projet est pour nous l’occasion de comprendre finement les usages, les contraintes réglementaires, les dynamiques sociales, mais aussi le tissu collectif et institutionnel local. C’est ce travail d’attention aux contextes qui permet de construire des réponses justes, et d’éviter les réflexes ou standards internationaux qui ne seraient pas adaptés aux réalités du terrain.
Notre expérience internationale nous permet de prendre du recul, de croiser les points de vue, d’enrichir nos méthodes de conception. Mais cela ne fonctionne que si cette expertise se combine à une compréhension fine des territoires, et s’ancre dans une collaboration étroite avec nos partenaires : bureaux d’études, architectes, urbanistes, paysagistes. Ce dialogue est essentiel pour traduire les enjeux locaux en architecture — que ce soit à travers des dispositifs spatiaux spécifiques, des choix de matériaux ancrés, ou une flexibilité d’usage qui anticipe les évolutions futures.
Nous cherchons à construire avec. C’est cette posture de co-conception qui nous permet de concilier l’exigence d’un studio international avec la singularité de chaque contexte.



Grimshaw Paris travaille actuellement sur le projet du Grand Paris Express. Quels sont les principaux défis auxquels votre équipe est confrontée ?
Le Grand Paris Express est un projet d’une ampleur inédite pour l’Île-de-France, à la fois par sa complexité technique et par son potentiel de transformation urbaine. L’un des grands défis pour nous est de faire de cette infrastructure lourde un levier d’inclusion, de transition écologique et de régénération territoriale. Chaque gare doit devenir bien plus qu’un nœud de transport : un espace public souterrain lisible, confortable, et capable de tisser de nouveaux liens avec son quartier.
Ce défi est également écologique. Nous devons concevoir des ouvrages sobres, durables, capables d’évoluer avec les technologies, les usages, et les exigences climatiques du siècle à venir. La résilience ne se limite pas à la structure : elle doit aussi se lire dans les modes constructifs, la réparabilité des éléments, l’adaptabilité des volumes.
D’un point de vue architectural, cela se traduit par une intégration maîtrisée de la technique au service d’un cadre épuré, intelligible, qui limite l’anxiété liée aux espaces souterrains et facilite l’orientation. La qualité de l’expérience usager est centrale — lumière, matérialité, échelle — mais elle ne peut se faire sans une réflexion approfondie sur l’exploitation et la maintenance. C’est pourquoi nous travaillons en étroite avec la Société des Grands Projets et le groupement d’entreprise Intencités15 pour garantir la robustesse, la maintenabilité et l’évolutivité des gares. C’est dans cette convergence entre architecture, ingénierie et usage que réside, selon nous, l’innovation véritable du projet.



Le projet de la passerelle Rapas à Toulouse consiste à relier l’île du Ramier au centre-ville, tout en s’inscrivant dans l’identité architecturale de la Ville rose. Comment ce projet incarne-t-il la philosophie de Grimshaw ?
Le projet de la passerelle Robert Poujade illustre de manière concrète notre engagement pour une architecture contextuelle, utile et durable. Située entre l’île du Ramier et le quartier du Fer à Cheval, elle s’intègre dans le projet du Grand Parc Garonne, en contribuant à revaloriser un territoire longtemps enclavé. L’ouvrage répond à des besoins réels de mobilité active, tout en accompagnant la transformation du site en un grand parc métropolitain ouvert sur la ville.
Conçue pour s’inscrire avec précision dans un environnement naturel et contraint, la passerelle se distingue par une structure en V inversé, haute de 60 mètres, qui marque symboliquement l’entrée de l’île. Son dessin épuré permet une lecture claire de l’ouvrage, tout en s’effaçant visuellement au profit du paysage. Elle traverse les zones humides sans les altérer, préserve la ripisylve, et s’adapte finement à la topographie, sans artificialisation superflue.
Ce projet incarne notre approche de l’infrastructure : une architecture rigoureuse dans sa conception, attentive à son impact, conçue pour durer et pour être appropriée par tous. Il témoigne aussi de notre volonté de faire dialoguer les échelles – de l’ingénierie à l’expérience piétonne – et de relier fonction, paysage et usage dans un ensemble cohérent. C’est ainsi que nous envisageons l’avenir de l’espace public : accessible, lisible, et ancré dans son territoire.
Comment Grimshaw Paris intègre-t-elle les objectifs de neutralité carbone, d’économie circulaire et de durabilité dans sa démarche de conception architecturale ?
Les enjeux environnementaux sont à la fois simples et complexes. Simples, parce que le constat est clair : il faut faire moins — construire moins, consommer moins, transformer davantage. Et le monde scientifique nous donne aujourd’hui une feuille de route solide pour aller vers une architecture bas-carbone. Et complexes aussi, parce qu’il s’agit de transformer en profondeur un système économique, une chaîne de production, une culture du projet encore trop souvent tournée vers la performance formelle ou quantitative.
Chez Grimshaw, nous abordons chaque projet de manière contextuelle : en partant du climat local, des ressources disponibles, des usages réels, du site, pour définir ce que l’on peut faire — et parfois, ce qu’il vaut mieux ne pas faire. Notre objectif n’est pas de cocher des cases réglementaires, mais d’engager une transition collective vers des pratiques plus sobres, plus justes, plus utiles.
Concrètement, chaque projet s’accompagne d’une feuille de route carbone, qui identifie les leviers d’action les plus pertinents selon le programme, le site, les matériaux, le cycle de vie du bâtiment. Nous collaborons avec des bureaux d’études engagés, des entreprises investies dans l’économie circulaire, le réemploi, le biosourcé, et nous formons en permanence nos équipes pour intégrer ces enjeux dès les phases amont.
Nous avons également développé Minoro, une plateforme open-source d’aide à la décision, qui nous permet d’évaluer l’impact environnemental d’un projet dès la conception et d’orienter nos choix à chaque étape. L’outil identifie les leviers les plus efficaces pour réduire les émissions, tout en intégrant les contraintes opérationnelles du projet.
Mais au-delà des outils, c’est une culture projet que nous voulons faire évoluer. Celle qui consiste à poser les bonnes questions dès le départ : à qui sert ce bâtiment ? Quelle est sa valeur d’usage ? Comment s’adaptera-t-il dans 10, 20, 50 ans ? C’est aussi un sujet de plaisir, et même de responsabilité joyeuse : celle de créer des lieux qui font société, qui durent, qui rassemblent, et qui nous aident à faire mieux — avec moins.
Vous avez été désigné parmi « les 100 qui font la ville » en 2023. Quelle est, selon vous, la vision d’une ville durable, désirable et confortable pour demain ?
Je crois qu’il est urgent de redéfinir nos besoins d’usage. Avant de construire, il faut se demander : pourquoi bâtir ? De quoi avons-nous réellement besoin pour vivre mieux ? La ville de demain ne peut plus être pensée dans une logique d’expansion continue, mais dans une dynamique circulaire, fondée sur la transformation, le réemploi et la réversibilité. Elle devra faire avec ce qu’elle a déjà : son bâti existant, ses sols, ses réseaux, ses ressources et ses usages. C’est cette capacité d’adaptation, d’ajustement permanent aux besoins évolutifs des habitants, qui en fera une ville résiliente.
Cette transformation suppose aussi une meilleure répartition des fonctions vitales sur le territoire. Reconnecter l’urbain à l’agricole, réintégrer des activités productives dans la ville, limiter les déplacements contraints : autant de leviers pour construire une ville plus équilibrée, plus autonome et plus juste.
Enfin — et c’est peut-être l’enjeu le plus crucial — il nous faut redéfinir le confort. Dans un monde traversé par les dérèglements climatiques, le confort ne peut plus reposer sur la surconsommation d’énergie. Il doit devenir un droit partagé, un bien commun. Cela implique de ramener de la nature en ville, de créer des lieux de fraîcheur, de protéger les ressources vitales, de concevoir des espaces réparables, accessibles, pensés pour tous. C’est cette ville-là que nous voulons contribuer à faire émerger : une ville de soin, de proximité, de bon sens — construite pour durer, et pour être habitée pleinement.
Quels en seraient les piliers fondamentaux ?
Les piliers sont multiples, mais ils convergent vers une même exigence : faire mieux avec moins, en s’appuyant sur l’intelligence collective. Il y a d’abord la sobriété constructive — cesser de bâtir par réflexe, privilégier la transformation à la démolition, minimiser l’impact des matériaux, rendre chaque mètre carré utile. Ensuite, la mutualisation des ressources : qu’il s’agisse de l’énergie, de l’espace, des équipements ou des services, le futur urbain sera coopératif ou ne sera pas.
L’inclusivité sociale est tout aussi essentielle. Une ville durable ne peut exister que si elle accueille tous les corps, toutes les générations, toutes les trajectoires de vie. Cela suppose une attention constante à l’accessibilité, à la diversité des usages, à la juste répartition des aménités.
Enfin, il faut redonner une place au sol : le libérer, le dépolluer, le désimperméabiliser, le partager. C’est à cette condition que la nature pourra revenir, que les cycles de l’eau pourront se rétablir, que le vivant pourra reprendre sa place.
Mais au-delà des leviers physiques ou programmatiques, le véritable pilier, c’est la gouvernance. Une gouvernance partagée, ouverte, qui associe les citoyens, les élus, les acteurs de terrain. Les projets urbains les plus puissants, les plus résilients, sont ceux qui se construisent collectivement. La complexité des transitions à venir exige cette pluralité de regards et de savoirs. Elle est la condition d’un avenir commun.