À Kinshasa, le Zando concentre une intensité rare. Les étals, les corps, les voix, la chaleur. Construit au début des années 1970, le grand marché central occupait un site de 3,7 hectares au cœur de la ville. Devenu au fil du temps totalement obsolète, sous-dimensionné et insalubre, il n’était plus en mesure d’absorber l’ampleur des usages quotidiens. Saturé, enclavé, inaccessible aux véhicules de secours, il incarnait à lui seul les limites d’un équipement public dépassé par la croissance de la capitale congolaise.
Confiée à l’agence THINK TANK Architecture, pour sa première commande à l’export, la transformation du Zando part d’un constat simple : ici, l’architecture ne peut ni contenir ni discipliner la ville. Elle doit composer avec son intensité. Développé sur 80 500 m², le projet engage une réflexion à l’échelle d’un îlot entier du centre-ville. Cette approche, attentive aux usages autant qu’au climat équatorial, a valu au projet d’être distingué en 2025 par le Prix régional Moyen-Orient & Afrique de la Fondation Holcim, récompense des architectures capables de faire avec les ressources locales et les contraintes environnementales.
Mettre de l’ordre sans figer
Le nouveau Zando s’étend largement, tel une infrastructure urbaine. Le bâtiment adopte un plan rectangulaire – 245 mètres de long pour 150 mètres de large – et organise le marché autour d’un vaste cœur de plein vent, développé sur deux niveaux. Autour de ce noyau central, un bâti périphérique en R+2 enveloppe l’ensemble, accueillant près de 650 boutiques et donnant au projet sa lisibilité.Le programme est dense : 48 000 m² de marché, un centre logistique d’environ 5 000 m², mais aussi un pôle administratif regroupant bureaux, administration du marché, commissariat de police et centre d’incendie. Autant de fonctions qui transforment le Zando en équipement urbain à part entière, capable d’assurer sécurité, gestion et continuité d’usage dans un quartier longtemps fragilisé.
L’enjeu urbain a précédé le dessin architectural. Le projet redessine les rues adjacentes, requalifie les accès, organise l’arrivée des camions vers le pôle logistique et sépare clairement les flux piétons et techniques. Là où l’ancien marché produisait congestion et insécurité, l’architecture introduit de la lisibilité. À l’intérieur, de grandes halles ouvertes s’articulent autour de cours et de vides généreux. Ces respirations orientent les parcours, facilitent les déplacements et laissent circuler l’air comme les personnes. Les cheminements sont amples, continus, souvent en pente douce. L’architecture encadre sans contraindre, organise sans effacer l’informalité qui fait la vitalité du lieu.




Bâtir avec l’air et l’ombre
Ici, la question climatique s’impose. Le projet y répond par des choix simples, presque évidents. La palette de matériaux est volontairement réduite : béton et brique de terre cuite, disponibles localement, maîtrisés par les entreprises congolaises, faciles à mettre en œuvre. Cette simplicité constructive s’appuie sur des procédés répétitifs, adaptés à l’échelle du bâtiment, tout en évitant la monotonie.
Les façades déclinent une douzaine de panneaux de moucharabiehs en briques, aux assemblages variés. Cette variation redonne une échelle piétonne à un édifice hors norme et participe pleinement au fonctionnement bioclimatique. Les parois ajourées filtrent la lumière, laissent passer l’air et créent de l’ombre. Les coursives et arcades forment des protections solaires passives, tandis que les parasols du niveau supérieur ponctuent la toiture et facilitent l’évacuation des masses d’air chaud. Le marché est largement creusé, presque excavé, renforçant encore la ventilation naturelle.

Malgré son ampleur, le Zando demeure un bâtiment frugal. Il fonctionne sans climatisation, sans second œuvre superflu, avec une attention constante portée à la quantité de matière mobilisée. L’eau de pluie est récupérée pour le nettoyage des espaces de marché, l’arrosage et la défense incendie. Le projet avance ainsi par ajustements, en s’appuyant sur l’air, l’ombre et l’eau plutôt que sur la technologie.
Le marché accueille enfin des fonctions moins visibles mais essentielles, qui participent à sa dimension sociale : services administratifs, sécurité, équipements publics. Porté par une main-d’œuvre largement locale, nourri par un dialogue constant avec les services de la ville, le Zando se veut être le marché de tous. À Kinshasa, cette architecture travaille avec le réel, avec le climat, avec les usages. Une écologie pragmatique, durable parce qu’ancrée dans la vie ordinaire de la capitale.
Maîtrise d’ouvrage : SOGEMA
Maîtrise d’oeuvre : THINK TANK architecture / Egis Bâtiment International / Novablok (Faisabilité) / Ayo Bet Façades
Surface : 80 500 m2



