AccueilArchitectureTribunesStudio Mumbai : Bijoy Jain, architecte du geste

Studio Mumbai : Bijoy Jain, architecte du geste

Alors que la Fondation Cartier pour l’art contemporain présente actuellement Le souffle de l’architecte, exposition spécialement créée pour l’institution, la démarche de Bijoy Jain, fondateur du Studio Mumbai, incite à réfléchir sur la métaphysique profonde de cette discipline pour laquelle il convoque une « abondance de phénomènes sensoriels, de rêves, de mémoire, d’imagination, d’émotions et d’intuition ».

Soucieux de l’avenir des relations entre l’homme et la nature, Bijoy Jain a développé une attitude atypique face au projet : lente, inclusive, précise. Quelle que soit leur échelle, le temps, l’eau, l’air et la lumière constituent les fondements de chacune de ses réalisations. L’architecte pense en maquette plutôt qu’en plan, en collectif plutôt qu’en maître, il renie les destructions massives, les constructions hâtives et de mauvaise qualité, l’aliénation tant des usagers que des concepteurs.

Extraits de la conférence donnée par Bijoy Jain le 18 avril 2016 au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles

« Notre studio s’intéresse à la façon dont nous naviguons dans notre environnement. La création d’espaces fait en effet appel aux cinq sens, avec cette notion de perception, une manière intuitive de se déplacer, les gestes, les mouvements du corps. Elle se penche aussi sur la notion de fondation, cette idée que notre civilisation s’est construite sur une base aqueuse. Cela crée un sentiment d’instabilité. J’aime l’idée d’imprévisibilité qui va dans le sens du mouvement, comme une marée. Cette relation est très importante à l’échelle de la planète. Je montre souvent cette vieille carrière au Rajasthan, toujours en cours d’excavation, et qui a subi de fortes chutes de pluie. Lentement au fil du temps, le terrain se révèle. Lorsque nous construisons, il y a toujours cette idée d’agilité. »

« Nous travaillons aussi avec le potentiel qu’a notre imagination à négocier avec la gravité. L’architecture est fondamentalement confrontée à cette notion qui est la seule véritablement égalitaire. Il m’a semblé, à un certain point, qu’il y avait une meilleure façon de faire l’architecture qu’en utilisant le dessin, quelque chose qui permettrait de maintenir l’énergie émotionnelle et physique dans l’acte de créer. J’ai alors abandonné le dessin. Non pas que je sois nostalgique des méthodes traditionnelles ou d’un artisanat passé, pour moi l’idée d’un artisan, celle qui reste pertinente à notre époque, est dans sa capacité à prendre un certain ensemble de compétences et à les appliquer à d’autres champs. Les outils agraires par exemple sont en quelque sorte des extensions de la main. »

« Je m’intéresse aux gestes en architecture. Chez certains artisans, il y a ce sentiment d’équilibre, d’endurance, de retenue. Cela m’a fait réfléchir au fait que les méthodes de fabrication, les matériaux, existeront toujours, mais que se passerait-il si la maîtrise des gestes devait se perdre ? Peut-être que l’architecture est le résultat de cela.

Dans mes projets je me suis intéressé à ce que j’appellerais des instructions linguistiques, cette capacité à donner quelques instructions qui seraient suffisantes : longueur, largeur, hauteur, structure. Cette notion de communication est très importante. Encore une fois, les mains étaient les premiers outils pour communiquer. »

« Pour ce projet de maison non loin de Bombay, il y avait sur le site une excavation. Le paysage m’a toujours fasciné, on est curieux de sa fabrication. Il y a un rituel ici en Inde qui consiste à aller chercher de l’eau pour ses propres moyens de subsistance. Nous avons ici décidé de conserver cette source et le puits est devenu le cœur de notre projet. Il y a aussi une volonté de combiner la science avec quelque chose de plus viscéral. A la mousson, l’eau monte jusqu’à la dalle pendant quelques heures. Il y a alors un inversement entre intériorité et extériorité, la sensation de l’eau est encore plus forte à l’intérieur, avec cette idée qu’à la mousson la maison se régénère, se recharge en quelque sorte. Il y a aussi la notion d’empreinte, comme si nous devions laisser quelque chose dans le sol pour qu’une autre civilisation le récupère. Cette maison va se désagréger et retourner dans le sol, mais cet espace central va rester et pourra être reprise par une autre civilisation. »

« Je m’intéresse à ces bateaux et à leur étanchéité faite à l’aide de goudron. Cela m’a inspiré pour ce projet de maison multi générationnelle avec ses neuf boîtes carrées constituées de briques très simples, reliées par des toits réalisés avec du goudron noir comme imperméabilisant. Des feuilles de contreplaqué sont enduites de ce matériau. Il y a ici une sorte de facilité de moyens, une façon d’utiliser les ressources disponibles immédiatement. Ces briques sont normalement jetées parce qu’elles sont noires. Il faut trouver les briques avant la mousson car ensuite elles ne peuvent plus être fabriquées. Il y a une toute une économie basée sur cette relation entre la terre et  l’eau. Cela crée comme un pattern architectural. »

« Dans ce projet, nous avons excavé la terre pour réaliser les fondations, et nous l’avons transformée en blocs de terre comprimée, des plaques de 50 centimètres de haut environ. Une machine spéciale a été fabriquée pour comprimer la terre et former les briques qui ont été ensuite séchées au soleil. Toute la maison émerge en quelque sorte du sol. Ainsi aucun camion n’en est parti, et aucun n’est venu, ce n’était que des mouvements humains. Les trois maisons sont connectées entre elles par une large cour. Ici les 50 premiers centimètres sont en quelque sorte sacrificiels. En effet chaque bâtiment que je dessine est pensé au travers des moussons. Les moussons ont cette capacité à replacer le bâtiment à sa juste place, à développer son centre de gravité. Il y a cette ouverture au plafond de forme carrée où l’on peut voir l’eau, avec cette idée que l’eau va entrer en vous, à la fois métaphoriquement et physiquement. »

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Bijoy Jain est né en 1965 à Bombay en Inde. Il se forme à l’architecture à l’Université Washington de St-Louis aux États-Unis avant de travailler à Los Angeles pour Richard Meier puis à Londres. Il retourne en Inde en 1995 où il fonde le Studio Mumbai, un atelier composé d’architectes, ingénieurs mais aussi menuisiers et maçons formés aux techniques de construction traditionnelles. Bijoy Jain enseigne à l’Accademia di architettura, Università della Svizzera Italiana de Mendrisio en Suisse. Il a également enseigné en tant que professeur invité à l’Université de Yale aux États-Unis ainsi qu’à l’Académie Royale Danoise des Beaux-Arts de Copenhague. En 2015, il a reçu un doctorat honorifique de l’Université de Hasselt en Belgique pour sa contribution dans le domaine de l’architecture. En 2017, il a reçu la bourse internationale du RIBA à Londres.

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