L’association Aurore, en partenariat avec la ville de Paris, a posé son centre d’hébergement d’urgence dans le 16e arrondissement. Un projet modulaire et déplaçable, mené en co-conception par moonarchitectures et Air Architectures.
L’hébergement d’urgence, un système en crise
Hébergement d’urgence : un rapport sénatorial dénonce un système « au bord de l’asphyxie » titre Le Monde le 14 décembre 2016. Face au nombre croissant de demandeurs d’asile, les 30 000 places créées entre 2012 et 2015 ne suffisent pas. Les recours aux nuitées d’hôtel ont doublé depuis 2012 ; une solution coûteuse d’environ 17 €/nuit/personne en Ile-de France financée par le Samu Social de Paris, face à un coût de 40 €/journée/personne dans les centres d’hébergement d’urgence. Un coût qui se justifie par les services d’aide à la personne, nécessaires pour assurer la fonction de relais de ces organismes qui ont pour objectif de proposer des solutions de sorties.
C’est dans le très chic 16e arrondissement parisien que la ville de Paris a décidé d’implanter le nouveau centre de l’association Aurore. Une décision en faveur d’un rééquilibrage territorial, qui a quelque peu chamboulé le quartier. La mixité gêne. « Outre les craintes de « dévaluation de l’immobilier » du quartier, ou pour la « sécurité », c’est surtout le fait que le centre d’hébergement puisse empiéter sur le Bois de Boulogne, un site classé depuis 1957 et une zone urbaine verte non constructible, que mettent en avant les habitants pour combattre le projet. » ironise Vice News. En effet, le projet s’installe sur une route de 196 m de long et 11,7 m de large, à la lisière du Bois de Boulogne et face à des immeubles résidentiels. Cependant, l’ouvrage ne devrait pas trop déranger ses voisins, la rue étant en contrebas dissimulée derrière un filtre végétal.
Moonarchitectures et Air Architectures, même combat ?
Pour ce faire, la ville a fait appel à l’agence Air Architectures, connue pour ses multiples interventions dans le domaine de l’urgence. L’association Aurore leur adjoint moonarchitectures, à qui elle a déjà fait appel par le passé. Les deux équipes travaillèrent en co-conception durant un mois et demi jusqu’au dépôt du permis précaire en novembre 2015. Les phases suivantes ont été confiées à la seule agence moonarchitectures. Écartés du projet, Cyrille Hanappe et Olivier Leclercq de l’agence Air se sentent dans l’obligation de défendre leur propriété intellectuelle à travers une lettre à la presse, revendiquant l’utilisation de thématiques de travail qu’ils expérimentent depuis une quinzaine d’année : « intégration dans l’environnement, appropriation des usagers, travail du bois et de la couleur : tous ces thèmes sont les nôtres depuis plus de 15 ans. Ce projet pour les sans-abris s’inscrit dans une démarche que nous avons entamé envers les personnes en grande difficulté ». De son côté, Guillaume Hannoun, moonarchitectures, considère que « Air architectures apporte une vision de co-construction, en accompagnement avec la population. Or, pour ce projet, l’État finance le bâtiment qui accueillera un roulement de personnes changeant tous les 3 à 9 mois. Le projet ne peut se prêter à la démarche de Air ». A cela, Jérôme Flot, représentant de la maîtrise d’ouvrage, ajoute l’argument économique : « le contrat de maîtrise d’œuvre s’est arrêté à la conception pour une meilleure maîtrise des coûts » grevés, selon lui, par un amortissement sur 3 ans au lieu de 5, initialement demandé au PC.
A permis précaire, nécessaire modularité
Le permis précaire obtenu pour l’implantation du centre d’hébergement d’urgence de l’association Aurore ne sera valide que 3 ans ; une durée de vie qui soustend sa mobilité et un site qui impose sa naturalisation après coup. Ainsi, aux fondations traditionnelles ont été préférés un tablier métallique et des plots de répartition posés sur la chaussée existante. Le montage des modules préfabriqués en ossature bois est séquencé en suivant le linéaire du chemin de grue le long de l’allée – avec un premier module déposé le 26 juillet et une réception qui s’est faite par tronçons, la période hivernale pressant le pas – et les réseaux ont été connectés au fur et à mesure, reliés entre eux par des canalisations sous les bâtiments. Les modules bois Dhomino – de l’entreprise du même nom – empilés sur 3 niveaux dans un système autostable, sont agencés en quatre bâtiments de foyer-logements et un petit bâtiment d’accueil ERP, comprenant salles de vie, tisanerie, offices, locaux d’entretien, bureaux associatifs, salles de réunion et la loge du gardien. On distingue 5 modules types : un module de 8 x 3,3 m avec deux chambres individuelles et une circulation au centre ; un module de 7 x 3,3 m avec un appartement pour famille de deux pièces et une salle de bains ; un module « salon » ou plutôt jardin d’hiver qui devient une pièce en plus et fait office de tampon thermique derrière des parois en verre organique ; un module sanitaires pour les logements individuels ; un module espaces communs (tisanerie, services) au rez-de-chaussée de chaque bâtiment. L’ensemble est enveloppé d’un bardage bois, où se déclinent trois teintes. Les cinq bâtiments sont accessibles par des escaliers extérieurs – un rythme inspiré de celui de la trame des immeubles résidentiels avoisinants – dont l’interstice est matérialisée par de la tôle en acier ondulé coloré, qui se retourne en toiture. Chaque entité est autonome, avec son propre espace commun. Elles sont capables d’accueillir 50 personnes, une taille idéale pour un centre d’hébergement d’urgence, la configuration linéaire comme celle de l’Allée des Fortifications n’étant pas forcément envisageable sur d’autres sites.
L’association Aurore prône un modèle mobile, susceptible d’être installé de façon temporaire sur des réserves foncières, utilisant également des bâtiments en attente de projet, comme l’hôpital Saint-Vincent-de-Paul (Paris 14e) en grande partie désaffecté et progressivement réutilisé en centre d’hébergement. Ici, l’association fait un pas en avant en concevant une architecture en réponse au site, qui pourra être redéployée en entités autonomes dans d’autres lieux ; un suivi et une faisabilité qui devra se vérifier dans 3 ans.
Amélie Luquain
Fiche technique
Maîtrise d’ouvrage : Association Aurore. Maîtrise d’œuvre : moonarchitectures (mandataire) Air architecture (PC) Dhomino (BE Ossature Bois) Axpacaal (BE Fluides) AVR (BE VRD). Programme : Centre d’hébergement d’urgence provisoire de 200 places, ERP et bureaux. Surface : 2800 m2. Lieu : Allée de Fortifications, Paris 16e. Coût du projet : 3,9 M € HT. Coût de démontage estimé : 1,6 M € HT. Dates : Études septembre 2015. PC novembre 2015. Livraison 2016