Une recherche maligne d’espaces supplémentaires dans un contexte ultra-contraint à Séoul, proposant une solution à la densité et à la flexibilité de l’habitat en ville, réalisé par l’agence Jinhee Park + John Hong Architectes.

Une robe de lamelles métalliques scintillantes offre une double peau très transparente
Peut-on rêver de jours meilleurs ? Des jours où le respect de soi et de l’autre permettrait de vivre en bonne intelligence, grâce à une bonne dose de ce que la République appelait hier le civisme ? C’est le pari des architectes Jinhee Park AIA + John Hong. En plein cœur de Séoul confrontée à l’hyper densité et l’envol des prix du m2 en location ou en accession, ils tentent d’inventer une « ruche » pour tous et chacun, des étudiants, des jeunes couples, des artistes.
Ambiance : dans la rue assez étroite l’immense toile d’araignée des fils électriques et de téléphone se tend mollement au-dessous des voitures entre le fouillis des architectures, plutôt basses, souvent de brique, séparées les unes des autres par quelques mètres, de quoi caler deux ou trois places de parking, glissées aussi en rez-de-chaussée comme les contraintes urbaines le prescrivent.
Sur la petite parcelle, il y a avait hier un immeuble de trois étages aux airs faubouriens avec ses encadrements de fenêtres à fronton. Détruit, il fait place à une machine à habiter de neuf niveaux sous-sol compris, avec 14 studios entre pliage et dépliage à volonté ou presque.
L’extrême Orient a l’habitude des espaces contraints, des chambres cellules/capsules. Si chaque logement de 11 m2 reprend le principe de la boite, aucune sur un étage n’a le même le plan que l’autre. En revanche toutes développent un dispositif d’escamotage du mobilier : lit, tablettes, placard, etc. Ce principe s’applique aux cloisons et permet de combiner les blocs et d’obtenir grâce à cette modularité étonnante des espaces deux ou trois fois plus vastes, ajustés à l’évolution de la vie familiale ou professionnelle des habitants, favorable à leur sédentarisation, partant leur envie d’entretenir leur chez soi. La flexibilité s’étend aux fonctions : le logement peut se convertir en bureau, atelier, etc.
Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà
La souplesse spatiale s’appuie sur des parties communes partagées : couloirs qui deviennent petit salon, balcon, coursive plantée, toiture terrasse. Comme l’imposent les règlements d’urbanisme, le rez-de-chaussée est en partie libre pour le stationnement. L’occasion de le penser autrement. Avec le sous-sol, il est en partie occupé par un café et un auditorium que complète en étage un deuxième niveau transformable en galerie d’exposition. Manière d’attirer les voisins du quartier tout en appuyant le sentiment d’habiter une « ruche » commune.
Ce n’est pas tout. Impossible de ne pas la repérer de la rue. Bien sûr, il y a sa robe de lamelles métalliques à peine torsadées et scintillantes au soleil, une double peau très transparente. Mais plus encore sa figure de containers empilés, décalés les uns des autres, enveloppés de vides et de lumière, associant espaces de la rue et de la maison, aux antipodes des blocs autistes fermés sur eux-mêmes et le monde.
Architecture pour la ville, architecture amoureuse de ses habitants. Petit bonheur que d’arpenter ces niveaux connectés, ouverts dans les trois dimensions, éclairés de toutes parts par une telle variété d’ouvertures qu’elle décourage la description.
Vivre chez soi et ensemble ? L’utopie est trop belle pour ne pas finir en eau de boudin ! Peut-être, mais pas certain. « Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà » écrivait le cher Sieur Montaigne. Le civisme n’est pas le même partout.
Jean-François Pousse