Caen, la « petite discrète qui a toutes les qualités d’une grande » souhaite sortir de l’anonymat. Une volonté soulignée par la quatrième édition de la biennale IN-SITU sur la thématique « Reconstruire la ville sur-mesure »* et des projets architecturaux ambitieux sur la Presqu’île, signés Olivier Chaslin, Studio Milou, Christian Hauvette, Bruther, Rem Koolhaas, Michel Desvigne… Visite.
Ceinturée par le canal de Caen à la mer, prenant sa source dans le lit de l’Orne, la pointe de la Presqu’île de Caen s’impose comme le centre névralgique du renouvellement de la ville. Son territoire de 11 ha échappe à La grande mosaïque de 300 ha projetée par l’agence néerlandaise MVRDV, préférant un développement isolé. Là, la reconquête de cette friche industrielle se veut comme nouvelle centralité urbaine d’où la présence d’équipements d’envergure. L’aménagement de la Presqu’île a débuté depuis plusieurs années avec le Cargö, un bâtiment dédié aux musiques actuelles livré dès 2007 par Olivier Chaslin et la (trop) monumentale École Supérieure d’Arts et Médias réalisée en 2009 par le Studio Milou. Plus récemment, le Dôme de l’agence Bruther, le Palais de Justice signé Christian Hauvette – repris par Pierre Champenois en association avec baumschlager eberle – et la BMVR de Rem Koolhaas dialoguent ensemble.
La Maison de la Recherche et de l’Innovation, dite le Dôme
Élégamment dressée en bordure de l’Orne, la MRI livrée en juillet 2015 est le fruit d’un pari risqué de l’agence parisienne Bruther. La qualité du bâtiment tient en grande partie à l’enrichissement du programme initial, les architectes décollant le volume du sol pour y libérer un parvis couvert et coiffant d’un dôme sa toiture devenue terrasse. Cette adjonction d’espaces a été rendue possible par une économie sur les systèmes constructifs. Se proposant comme une boîte à outils à réversibilité programmatique – la non-détermination des espaces et la conception de volumes capables constituant la démarche principale du projet – l’actuel centre culturel scientifique nouvelle génération reprend le « système Pompidou ». Quatre grands plateaux libres de 500 m2 et 6 m de hauteur, dotés chacun d’une mezzanine, sont superposés et les espaces servants sont rejetés en périphérie. Quant aux façades, l’une est en mur-rideau, l’autre en coussins ETFE translucides, un procédé habituellement utilisé à l’horizontale pour couvrir de grands espaces tout en les éclairant à moindre coût. Dans la lignée de Lacaton-Vassal, les anciens de l’agence Ferrier proposent ici un bâtiment fonctionnel et à l’esthétique plastique, dont les couleurs, changeantes en fonction de la lumière, définissent un élément urbain identitaire.
Le Palais de Justice, carré infini
Inauguré à la mi-2015, le Palais de Justice de Caen se pose face à la grande pelouse de Philippe Panerai. Initialement dessiné par Christian Hauvette, subitement disparu en 2011, il passe dans les mains de Pierre Champenois, collaborateur de l’architecte, en association avec baumschlager eberle. Le bâtiment à la géométrie simple et compacte se caractérise par la superposition de ses trois strates et par son bardage vertical et rectiligne. En son centre, on y déplorera le vaste atrium cylindrique, non pas pour l’espace qu’il dégage mais pour le traitement de ses façades intérieures à l’allure d’un panoptique oppressant déconnecté de son enveloppe. A l’étage, le palais se veut transparent, ouvrant périphériquement ses circulations à la ville, mais l’on ne pourra s’empêcher d’y lire le cercle infini de la justice dont on ne peut s’échapper, sans compter que les salles d’audience sont opaques à toute relation vers l’extérieur.
La Bibliothèque Médiathèque à Vocation Régionale, une croix sur l’île
Prévue à la livraison d’ici janvier 2017, la bibliothèque Alexis de Tocqueville conçue par Rem Koolhaas / OMA doit attirer le regard sur la Presqu’île plus par la signature de l’architecte que par l’architecture qui ne joue pas la carte de l’excentricité. Prenant place face au port de plaisance, le plan en croix de la BMVR dégage une centralité et quatre ailes largement vitrées dont les différences programmatiques devront se lire en façade – un aspect que l’on pourra vérifier d’ici le début d’année, le mobilier n’étant pas encore intégralement mis en place et le dévoilement des espaces intérieurs étant un secret jalousement gardé. De l’extérieur, la rigueur et la froideur apparente tentent tant bien que mal de se camoufler derrière des verres bombés. Affaire à suivre …
L’ensemble est ordonnancé dans un espace paysagé conçu Michel Desvigne, avec une reconversion des bords de l’Orne et la mise en valeur de l’immense pelouse de Philippe Panerai, le vide dans les villes devenant un luxe. Trois objets distincts donc, pour lesquels la cohérence du dialogue s’impose bien qu’il n’y ait eu aucune consultation préalable entre les différents projets : le verre, les semi-transparences, l’aluminium, les façades bombées, les lignes verticales et rythmées se répondent. Une uniformité née d’un heureux hasard !
* Commissaire : Frédéric Lenne
Amélie Luquain
Courtesy Ville de Caen / F. Decaens
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