Le Lieu de Vie de l’agence MUOTO sur le campus de Paris-Saclay se pose comme la mise en scène précaire de surface utile à remplir.
Sur le campus Paris-Saclay, la prise de l’angle de la rue Joliot Curie et de la rue Louis de Broglie, par celui que l’on nomme déjà le « Lieu de Vie », équipement public mixte construit par les architectes de l’agence parisienne MUOTO, a généré la configuration urbaine alentour. Les architectes ont posé là un bloc urbain, premier édifice livré au côté de Polytech Paris-Sud, qui s’imposera aux futures constructions, les déterminant par rapport à lui. Une façon peu orthodoxe de faire la ville, dans un campus qui ne l’est pas moins.
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Originalité
De prime abord, le bâtiment s’affiche sans cérémonial : il ne comprend pas de hall d’entrée principal mais plusieurs accès et ses quatre façades ne sont pas hiérarchisées, à moins qu’on lise à l’est une façade arrière réservée aux livraisons. De la même manière, la programmation du Lieu de Vie et la répartition des activités qui le constitue sont quelque peu inhabituelles. Celui-ci est un espace dédié à la vie urbaine, regroupant espaces sportifs et de restaurations dans un volume compact (4000 m2 SHOB), dont la mixité est gérée par le CROUS, sur un campus où les grandes écoles sont livrées avec leurs propres équipements. Dès lors, l’organigramme programmatique était très riche depuis le concours et les architectes ont dû le nettoyer, le simplifier, mutualiser les espaces plutôt que de les fragmenter, engendrant une répartition originale et de nouveaux usages. Pour exemple, la cafétéria au rez-de-chaussée peut devenir espace de réunion ou d’exposition ; la cuisine, fonctionnant en boucle avec le restaurant, est placée dans les étages ce qui engendre des complexités techniques, certes, mais ça lui permet d’être intégralement vitrée ; la technicité du bâtiment est transférée au rez-de-chaussée laissant à la toiture terrasse la liberté d’accueillir deux terrains de sport.

Le restaurant en double hauteur s’ouvre de toute part grâce à de grandes baies vitrées à galandage, le transformant en terrasse couverte

La cuisine est placée dans les étages ce qui engendre des complexités techniques, certes, mais ca lui permet d’être intégralement vitrée
Habiter la structure
Cette répartition est permise par la livraison d’un grand volume aride à la structure brute que les architectes sont venus remplir de diverses fonctions. L’agence MUOTO livre une ossature en « étagère » dont les plateaux sont supportés par un système régulier poteau poutre. Les poteaux sont coulés en place, extrêmement dense en ferraillage pour assurer leur finesse, et les poutres sont préfabriquées, de même que les pré-dalles en plafond. Les travées ainsi constituées, espacées de 7,50m, ont l’air inachevées, les poutres achevant de porter la dalle en porte-à-faux semblent comme cisaillées au nu des façades. Le bâtiment est entièrement décapoté et tout second œuvre est minimisé, afin de privilégier la surface à la surenchère de matériau tout en tenant le budget (ce qui signifie aussi une parfaite maîtrise de la réalisation). C’est aussi là un positionnement face à l’architecture durable – qui leur a valu les Lafarge Holcim Awards – le bâtiment, évolutif et modulaire, étant amené à durer dans le temps. Sans compter la robustesse du béton, également adapté à un usage intensif et dynamique. Les architectes ont donc travaillé sur une ossature minimale, livrant « un bâtiment qui n’a pas de chair, seulement les os », nous dit Gilles Delalex. Une sorte de structure inachevée et poreuse, un squelette à habiter à l’image de ceux du collectif Coloco. La structure est alors remplie de ses fonctions, lesquelles sont mises sous vitrine derrière de larges baies vitrées s’ouvrant de toute part, quand elles ne sont pas laissées à l’air libre comme la terrasse couverte du premier niveau qui n’attend que d’être appropriée par ses locataires ou les terrains de sport simplement posés sur la toiture derrière un grillage.

Une sorte de structure inachevée et poreuse, un squelette à habiter

Les travées espacées de 7,50m semblent inachevées, les poutres achevant de porter la dalle en porte à faux semblant comme cisaillées au nu des façades
Parcours ascensionnel
Bien qu’architecture du « retrait », selon les termes de l’architecte, celle-ci ne demande qu’à grouiller d’activité, prévue à l’ouverture 24h/24. En attendant, elle invite à une expérience ascensionnelle qui ne peut être appréhendée depuis le parvis, et que les architectes ont pu expérimenter durant le temps du chantier, découvrant un nouvel horizon à chaque plateau. Ainsi, un grand escalier central les dessert. Lui aussi est bâti à minima, en structure métallique, et est également extrêmement poreux ; en effet, bien que situé dans l’intériorité du volume, il est totalement extérieur, ce que l’air ambiant glacé de ce mois de novembre a confirmé. Cette structure permet aux architectes de se saisir de la verticalité du bâtiment, sur ce plateau de Saclay où l’horizontalité est de mise. Se référant à Beaubourg, ils ont souhaité rendre visible le parcours ascensionnel, de la même manière que l’« on dessine son chemin lorsqu’on gravit une montagne pour rejoindre son sommet », avant d’atteindre la toiture dont la vue panoramique sur la cime des arbres se substitue à l’architecture de béton. Sensation d’ailleurs …

Un grand escalier central extérieur, lui aussi bâti à mimnima, dessert les plateaux

La toiture dont la vue panoramique sur la cime des arbres se substitue à l’architecture de béton. Sensation d’ailleurs …
Ainsi, le bâtiment devient un équipement technique à vocation culturelle, où l’économie devient gage d’esthétique, les architectes s’inscrivant dans une tendance néo-brutaliste qu’ils affirment, pensant le béton comme le « matériau vernaculaire de l’architecture en France ». Une antonymie du construire donc, parce que MUOTO n’a eu d’autres préoccupations que de retirer de la matière et de bâtir le vide.
Amélie Luquain
Fiche technique
MOA : Établissement Public d’Aménagement Paris Saclay (EPAS). Architecte : MUOTO Gilles Delalex, Yves Moreau, et Thomas Wessel-Cessieux. Équipe : Y-Ingénierie, Bollinger & Grohmann, Alternative, Novorest. Programme : équipement sportif et restaurant universitaires. Surface : 4100 m2 SHOB, 2140 m2 espace public (passage, parvis et stationnement), 1375 m2 terrasses extérieures (mezzanine et terrains de sport en toiture). Cout : 6 500 000 €. Localisation : Gif-sur-Yvette. Concours : 2011. Livraison : septembre 2016. Lauréat de l’Equerre d’argent
Retrouvez le projet sur Instagram archi_cree
Courtesy Muoto Architectes / Maxime Delvaux