Délaissant toute métaphore, Renzo Piano livre avec la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé “un petit bâtiment qui fait son devoir”. Au service du très populaire 7ème art, ce nouvel immeuble parisien conserve en son cœur, un trésor historique de plus d’un siècle. Visite commentée d’une réalisation aussi maitrisée qu’audacieuse.
Loin des effets de manche ou de crayon, l’architecte italien, lauréat du Pritzker Prize en 1998, entend “ne pas faire semblant ” et “dessiner sous la force de la nécessité qui est l’inspiration la plus pure pour faire des choses vraies ”. Sur l’avenue des Gobelins à proximité de la place d’Italie, le nouveau siège de la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé fait désormais briller “une autre petite lumière culturelle dans la capitale” poursuit Renzo Piano, lors de son inauguration en septembre dernier. Atterrissant au cœur d’un ilot parisien, cette lanterne magique “s’accrochant là où elle pouvait”, s’est allumé, telle une “ Arche de Noé, s’il faut vraiment choisir une métaphore” précise le concepteur en réaction amusée aux divers noms d’oiseaux, de poissons ou autres créatures, donnés à la plus petite de ses réalisations.
Sans enlever de droits aux riverains, le bâtiment s’inscrit avec brio dans le quartier comme dans la durée. Erigé sur cinq niveaux, il s’ouvre largement sur la ville au rez-de-chaussée mais aussi à travers la carapace de sa verrière coiffant les deux niveaux supérieurs de sept mille écailles d’aluminium anodisé perforé, toutes différentes dans leur découpe. Passant de la transparence à l’opacité d’une coque de béton projeté, l’édifice se ferme sur ses trois niveaux intermédiaires pour conserver la mémoire cinématographique. Equilibrant la lumière tout en se protégeant du rayonnement solaire, sa forme organique surprend telle une créature vivante se glissant sur sa parcelle exiguë, derrière l’emblématique façade sculptée par Auguste Rodin, pour l’ancien théâtre des Gobelins (édifié en 1869, transformé en cinéma dans les années 60 avant une fermeture en 2003).
Sept ans de réflexion… ou presque
Après une commande directe passée à l’agence Piano dès 2008, la Fondation s’ouvre au public avec au sous-sol, une salle de projection de 70 places (destinée à faire revivre les chefs-d’œuvre du cinéma muet accompagnés en live par un piano), des espaces d’exposition permanente et temporaire, des ateliers pédagogiques, un centre de recherche et documentation au dernier étage sous verrière. Sur une surface totale de plus de 2200 m2, cet équipement rend aujourd’hui compte de l’évolution du 7ème art et de ses métiers à travers le parcours d’une entreprise créée en 1896, soit deux ans après l’arrivée des frères Lumière. Forte de la conservation de ses archives entre registres de présence, contrats signés avec les artistes, photos ou affiches de films, la compagnie Pathé retrace aujourd’hui l’histoire du cinéma notamment grâce à sa collection de plus de deux cents projecteurs et caméras commercialisés depuis 1897 jusqu’aux années 1980.
L’intérieur relativement luxueux de cette Fondation panache bois, acier et verre, pour un investissement dont le montant total non communiqué reste néanmoins dans un budget global de musée, précise le chef de projet Thorsten Sahlmann, avant quelques questions sur la genèse de cette créature.
Forme organique
Tout en conservant la façade de l’ancien cinéma inscrite à l’Inventaire supplémentaire des monuments historiques, le projet s’intègre dans une parcelle très contrainte pour laquelle “une forme géométrique s’est avérée inadaptée, explique Thorsten Sahlmann. La structure initiale était constituée d’un premier bâtiment, en devanture sur l’avenue, qu’un grand couloir reliait à un second, abritant deux salles de cinéma vieillissantes que nous avons démolies en 2009 pour construire un nouvel édifice culminant à plus de 25 m dont le rez-de-chaussée en verre aboutit sur un jardin de près de 200 m2.” Après nombre de maquettes, l’agence Piano a élaboré ce volume organique pour requalifier l’espace en offrant air et lumière aux immeubles voisins, libérant des vues tout en créant un jardinet.
Cette forme surprenante ouvre la parcelle, offre de la transparence à la Fondation, et concentre “la volumétrie là où elle gêne le moins, précise le chef de projet. S’accrochant sur les murs pignons, là où il n’y a pas de fenêtres, la coque permet de retrouver des cours intérieures, dont l’étude d’ensoleillement supérieure à celle de l’existant nous a permis d’obtenir le permis de construire en 2008 après le feu vert de l’architecte des bâtiments de France. Dans ce projet organique, les espaces de la Fondation trouvent naturellement leur cohérence ”. Et de conclure conclut “ selon les contextes, cette écriture revient ponctuellement mais régulièrement dans le travail de Renzo Piano, du pavillon itinérant pour IBM (1986) au grand magasin Peek & Cloppenburg de Cologne (2005) où l’on retrouve des structures courbes en bois sans compter ses expérimentations en béton projeté des années 1970 ”.
Enjeux techniques
Près de trois ans de chantier auront été nécessaires pour que la Fondation voie le jour. Tout au long de sa carrière, l’architecte génois a transcendé les enjeux techniques d’un édifice comme réponse à son contexte. Le défi constructif de la Fondation réside ici dans la mise au point de la coque en béton projeté sur un chantier difficile d’accès.
“Pour réaliser cette peau à double courbure, nous n’avons pas pu réaliser un moule pour couler le béton, solution qui aurait couté trop cher. Nous avons donc développé avec nos ingénieurs un système de guides ou lames en métal crantées, découpées au laser selon nos dessins, pour tenir l’armature sur laquelle le béton est projeté. Cette coque structurelle relie les planchers et assure le contreventement du bâtiment en ramenant tous les efforts vers le noyau périphérique. Les vitrages à double courbure de la verrière ont quant à eux reçu une Appréciation Technique d’Expérimentation (ATEx), certifiant la mise en œuvre de cette innovation, qui représente une première française.”
Si la Fondation reste le plus petit projet du Renzo Piano Building Workshop, l’agence travaille actuellement sur des projets d’envergure franciliens tels la future Cité judiciaire dans le 17e arrondissement (61.500 m2) et la nouvelle Ecole normale supérieure de Cachan (64.000 m2) attendues d’ici trois à quatre ans. À suivre.
Crédit photos: Collection fondation Jérome Seydoux-Pathé – RPBW/Michel Denancé
Sophie Roulet
Paru dans Archicréé n°368