Les architectes Pangalos et Feldmann conçoivent une « page blanche » pour le centre d’animation Ken-Saro-Wiwa, prêt à recevoir les interventions de ces hôtes.
Lieu innovant pour la création artistique, le centre d’animation Ken-Saro-Wiwa orienté vers les cultures urbaines fut livré en février 2015. Conçu par les architectes Aghis Pangalos et Anne Feldmann – de l’agence pangalos dugasse feldmann architectes – il accueille professionnels et amateurs, associations et scolaires.
Intégration urbaine
Au carrefour de la rue des Haies et Buzenval, il s’intègre dans le tissu urbain disparate du 20e arrondissement. Le rez-de-chaussée assure l’alignement sur rue et son accueil prolonge l’espace public tandis que les étages supérieurs se plient et s’affinent, suivant la volumétrie du site.
Le bâtiment est composé de différentes strates programmatiques qui se superposent dans une alternance de vide et de plein, d’espace extraverti et introverti.
Salle de spectacle
Enfouie dans le sous sol à 6 m de profondeur, la salle en configuration spectacle comprend 120 places assises. Une fois la tribune télescopique repliée et la fosse comblée, la salle d’un seul tenant adopte une fonction polyvalente, de plain pied avec les loges attenantes. Assurant l’insonorisation, un damier alterne des modules de 60 x 60 cm teint de noir, d’orange et de lumière, offrant un caractère noble à l’espace avec des matériaux simples.
Musique et Street Art
Au 1er étage, l’espace musique et celui dédié au street art se côtoient. D’une part, les deux salles de musiques sont conçues comme des « boites dans la boite », associées à des dalles acoustiques de fortes épaisseurs, afin d’éviter toutes nuisances entre les programmes. Elles offrent leurs façades opaques aux graffeurs. En effet, les architectes ont eu l’audace d’initier les usagers à une pratique interdite au sein même du bâtiment. Les parois accueillant les tags sont revêtues d’un parement en béton architectonique préfabriqué, traité paradoxalement anti graffitis afin de pouvoir faire peau neuve. La salle de préparation dédiée à l’étude du tag côtoie la terrasse abritée qui se prolonge en un balcon urbain. Les conditions urbaines du graff sont recréées. Tout au long de l’année, le bâtiment change de peau au gré des interventions artistiques.
Arts Plastiques et Danse
Au niveau supérieur, les salles d’arts plastiques en enfilade cadrent la vue sur la ville. Les baies vitrées fixes toute hauteur succèdent à des pleins contenant les ouvrants.
A R+3, la salle de danse, lieu intime du corps, est intériorisée tout en se tournant vers le ciel. Son volume prismatique se dote d’une lumière zénithale et d’une unique baie vitrée derrière la maille en métal déployé, permettant de voir sans être vu. Les panneaux de 2 m x 2 m de cette dernière viennent unifier les deux volumes pleins dans une enveloppe continue, avec une onde de 20 cm de hauteur correspondant à la largeur du bardage métallique posé horizontalement.
Toiture portante
Par ailleurs, la pente de la toiture – en plus de respecter le gabarit imposé par les règlements d’urbaniste et d’être végétalisée pour une évacuation naturelle des eaux de pluie – s’apparente à un tirant structurel indissociable de la bande servante attenante au mur mitoyen. Les volumes sont suspendus à cette colonne toute hauteur (contenant circulation, petits locaux et rangements), permettant de s’affranchir d’éléments porteurs en façade.
Non institutionnel, ce lieu aux finitions brutes n’exige pas d’être respecté. Bien au contraire, tel une « page blanche » il incite les utilisateurs à s’approprier ce support, laissant place à la création. Des tatouages colorés commencent d’ores et déjà à courir le long des parois. La nuit, de larges luminaires ronds transforment le centre d’animation en une lanterne urbaine, éclairant de sa créativité le quartier.
Amélie Luquain
Courtesy pangalos dugasse feldmann architectes / Luc Boegly