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Les formes de la ruine, à Lyon

Exposition “Formes de la ruine” au Musée des Beaux-Arts de Lyon
Jusqu’au 3 mars 2024

« Tous les hommes ont un secret attrait pour les ruines » écrivait Chateaubriand. De l’Empire Romain jusqu’aux mondes imaginaires de la bande-dessinée, en passant par l’Égypte, les Amériques, jusqu’aux civilisations les plus lointaines, l’exposition Formes de la ruine établit un dialogue entre tous les types de ruines. Il s’agit d’interroger les sociétés à travers l’histoire et, en même temps, de découvrir le travail effectué par les artistes contemporains dans leur volonté de documenter et d’interpréter les ruines de nos sociétés industrielles et d’imaginer notre futur.

L’exposition s’intéresse à toutes les formes de pratiques des ruines, qu’il s’agisse de la collecte de fragments d’activités humaines sur et dans le sol, de l’aménagement d’espaces naturels à des fins mémorielles ou cultuelles, ou encore de la construction d’édifices comme les mégalithes, les pyramides et les ouvrages d’art des grands empires. L’exposition se propose d’organiser une sorte de périple des ruines, un dialogue continu entre les civilisations autour de quatre thèmes : la mémoire et l’oubli, l’équilibre entre nature et culture, le lien entre le matériel et l’immatériel, la tension entre présent et futur.

Conçue à partir de la réflexion d’Alain Schnapp, archéologue et historien, auteur de l’importante Une histoire universelle des ruines, parue en 2020, Formes de la ruine a pour ambition de proposer au public une transposition plastique et visuelle de sa pensée, avec plus de 300 œuvres présentées, des arts premiers à l’art contemporain.

Depuis le début du 20 e siècle, les progrès des méthodes de datation absolue, liés à ceux de la paléontologie, nous permettent de fixer l’âge probable de la Terre à cinq milliards d’années et celui de l’apparition de l’homme à cinq millions. Ce gigantesque allongement du temps a brouillé les relations entre le passé et le présent. Il a conduit bien des artistes contemporains à remettre en cause la fonction mémorielle des ruines. Les architectures complexes et fragiles des centres-villes contemporains, les infrastructures dévoreuses d’espace nécessaires aux économies modernes ont radicalement modifié notre perception.
Les destructions massives des guerres des 20e et 21e siècles ont produit des ruines qui accompagnent celles d’un monde économique, qui s’avèrent aussi faibles dans leur consistance qu’immenses dans leur étendue. Partout les ruines s’étendent et recouvrent des territoires jusque-là épargnés. Impossibles à contenir, elles ne sont plus seulement la conséquence des tensions entre mémoire et oubli, nature et culture, matériel et immatériel mais celle d’un conflit entre présent et futur.

L’effondrement du rêve moderniste
Des motifs comme celui de la Tour de Babel, indéfiniment repris par les artistes à la suite de Pieter Brueghel l’Ancien (vers 1525-1569) et interprétée ici par Hendrick III van Cleve, peuvent nourrir des fictions imagées, comme dans les albums de bandes dessinées de Benoît Peeters et François Schuiten, qui appartiennent aussi bien au passé qu’au futur. Toutes sortes d’effondrements peuvent alors naître. Après les monuments mythiques, ces effondrements concernent aujourd’hui les rêves modernistes du 20 e siècle. Ceux-ci produisent en retour des ruines inattendues, multiples vestiges de projets architecturaux, militaires et industriels, comme les bunkers du mur de l’Atlantique photographiés par Paul Virilio ou encore la villa vite abandonnée d’un narcotrafiquant colombien, au centre du récit filmique de Laura Huertas Millán. Les photographies de bâtiments d’une société industrielle en perdition de Bernd et Hilla Becher, celles des palais désertés au Congo après la chute de Mobutu, symboles de richesse et de désillusion, de Gosette Lubondo, ou encore celles des vestiges abandonnés de la Bubble House de Tacita Dean appartiennent à des mondes où la démesure était le principe fondateur de ces monuments abandonnés.

Habiter les ruines
Après la destruction, la ruine accueille l’éclosion lente de nouvelles formes de vie. Plantes, arbustes, organismes divers et animaux envahissent des lieux qui leur étaient inaccessibles auparavant. Toits et murs effondrés ouvrent sur de nouvelles portions de ciel. L’œuvre du temps réconcilie le monument et le paysage en y réinstaurant la vie. Le Relief avec scène bucolique, chef-d’œuvre anonyme de l’art de la Rome antique, met en scène une vie rurale idyllique, en harmonie avec les ruines environnantes. Les vues imaginaires d’architectures antiques des peintres Cornelis van Poelenburgh et Charles Louis Clérisseau sont peuplées de petits personnages dont les occupations quotidiennes se déroulent au sein de sublimes vestiges du passé.
Cependant, le renouveau du vivant comporte le danger d’oublier la catastrophe qui l’a précédée. Les ruines filmées par Randa Maddah et Pascal Convert sont réinvesties par des habitants dont les gestes simples ne sauraient effacer les drames passés. Taysir Batniji met de son côté l’accent sur le marché immobilier dérisoire des habitations démolies de Gaza, dans un territoire incessamment détruit et reconstruit, éternels chantier et ruine. Enfin, Khaled Dawwa, artiste syrien exilé en France, exprime l’idée d’une perpétuelle habitation mentale des ruines et d’un deuil insurmontable, celui des vies perdues avec l’anéantissement d’une ville.

Ruines dernières, ruines présentes
La société contemporaine voit émerger une nouvelle manière de penser le monde et son futur. Celle-ci consiste à prendre soin de lui après les catastrophes, économiques, climatiques, ou encore les guerres, pour y vivre encore, sans devoir penser à cette fin inexorable qu’évoquaient Lucrèce, Sénèque et les penseurs antiques. Cela revient à savoir ce que signifie, aujourd’hui et demain, habiter les ruines, et donc mieux comprendre cette confusion – « fiat mundi confusa ruina » [le monde devient une ruine confuse] – pour y concevoir de nouvelles formes de vie.

Musée des Beaux-Arts de Lyon
Palais Saint-Pierre
20 place des Terreaux à Lyon

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