Se concevant comme une biographie architecturale itinérante, l’exposition Tout est paysage, une architecture habitée de Simone et Lucien Kroll s’ouvre sur des représentations de l’architecture des Kroll peintes par Yves Bélorgey. Suivent de nombreux projets accompagnés de texte de la main de Lucien, ainsi qu’un cabinet de dessin dévoilant le savoir faire de l’architecte.
A contre courant du modernisme, de l’industrialisation et de la certitude géométrique, le couple s’emploie à créer un milieu habité où la complexité et le désordre offrent des possibles. Ils se questionnent sur le rapport entre habitat et habitant, conscient que nous sommes tous différents. Loin de la sacralisation de l’objet, ils préfèrent travailler en étroite collaboration avec les usagers, recherchant un « sentiment d’habiter ».
Sauvetage à la barre
Ainsi, à Bethoncourt, ils offrent une nouvelle physionomie à une barre de 50 logements et lui rendent ses droits civiques. D’une part, ils lui donnent un paysage en adjoignant 15 maisons toutes différentes. La barre devient le quatrième coté d’une place, et s’accroche à un jardin de l’autre coté. D’autre part, sur les quatre travées, l’une est entièrement démolie, l’autre l’est partiellement, la troisième est ébréchée et la dernière est surmontée d’un étage.

Ne jamais faire table rase : Sauvetage d’une barre de 40 logements, Bethoncourt, Montbéliard, France, 1996
Humaniser Berlin-Hellersdorf
Ce projet nous rappel sans conteste la réhabilitation de préfabriqués à Berlin-Hellersdorf, pour lequel l’architecte a imaginé un processus idéal où l’habitant pourrait remanier au fur et à mesure son logement, imprimant la diversité en façade.

Un quartier à humaniser : Enfin chez soi… Réhabilitation de préfabriqués, Berlin-Hellersdorf, Allemagne, 1994
L’école des écoliers
En 1997, l’architecte est appelé à dessiner une école respectant une pédagogie non disciplinaire. Pour ce faire, il déploie une grande feuille blanche devant les employés de la mairie qui ont travaillé sur le programme, puis collectionne 400 dessins d’enfants qui ont crayonné l’école de leur rêve. L’architecte en fait une synthèse, les redessine pour se pénétrer de cette expression enfantine et insère les formes dans la réalité du bâti. De ce dialogue est née la riche hétérogénéité du projet.

Synthèse : Ecole don Milani, Faenza, Italie, 1997.
Mémé met le désordre
La réalisation la plus emblématique du couple est celle de « La mémé », en Belgique. Sur la proposition des étudiants, les architectes ont pu développer leurs méthodes participatives. Amplifiant le désordre des lieux, refusant la répétition d’éléments identiques, le bâtiment reflète le désir des étudiants d’aller à l’encontre d’une discipline institutionnelle.

Amplifier le désordre : « La Mémé », Maison médicale, la maison des étudiants en médecine, Woluwé-Saint-Lambert, Belgique, 1970.
Aujourd’hui, l’architecte est offusqué de voir le quartier des Ailes françaises à Pessac se recouvrir d’un « lait de chaux », selon les termes de Le Corbusier, ôtant de fait la vitalité des lieux aux habitants. Simone, coloriste et jardinière, s’était en effet évertuée à jouer avec des couleurs variées et chaudes, offrant de la gaieté au quartier.
Lucien, architecte du désordre, inscrit sur les murs de l’exposition : « La répétition c’est le crime. La diversité entraine la créativité. La répétition l’anesthésie. » A travers leurs textes, le couple va bien plus loin que la simple description d’un projet, ils nous racontent des histoires, par et pour les gens, plutôt que d’imposer la même histoire à chacun.
Amélie Luquain
Courtesy ©Atelier Lucien Kroll ©ADAGP, Paris, 2015