Colères, indignation, fureur et courroux : impôts, sous-traitances, concours et table rase des acquis sociaux. Patrik Schumacher à Berlin, John Pawson à Londres. New York : vers une architecture de l’espionnage. La revue de presse du 30 novembre 2016
Tête de turc
Indignation du Syndicat National de la construction des fenêtres, façades et activités associées (en abregé, SNFA), suite à la décision du groupe Vinci, qui a confié à un sous-traitant turc la réalisation de la façade de la future tour Saint-Gobain, à La Défense. « Les raisons de ce choix : à nouveau des prix anormalement bas ! », dit l’organisation, dénonçant « un nouveau coup dur pour les entreprises françaises, une fois de plus privées d’un important marché ». Aujourd’hui Metal Yapi « ne dispose en France que d’un établissement de moins de cinq personnes, qui n’est même pas affilié à la convention collective du bâtiment », écrit l’organisation, qui souligne que « La totalité des composants des façades ainsi que la main-d’œuvre de fabrication et d’installation seront donc intégralement de provenance “hors Europe”. »
D’après le syndicat, le recours à la sous-traitance étrangère devient une pratique courante « Ainsi la façade de la tour Carpe diem, confiée à la société chinoise Yuanda, et elle aussi située à la Défense, a souffert de fuites importantes, qui ont nécessité un colmatage pendant plusieurs mois, rapporte M. Marchand, délégué général du SNFA. Quant à la façade de la tour D2, elle a été confiée au sous-traitant Kyotec, qui lui-même sous-traitait toute sa fabrication en Turquie et a déposé le bilan avant la fin du chantier (…) Pour nous, il est impossible de travailler, en respectant toutes les règles, dans les conditions financières imposées par les entreprises générales ». Jean-Luc Marchand,, avertit : « Nos façadiers vont mourir ». Que le décès advienne au pied de la tour du champion national des produits verriers rend la fin encore plus amère.

Le projet de la tour Saint-Gobain à la Défense. Valode et Pistre Architectes Via le monde
Sans le soleil exactement
Fureur à l’Association Nationale des Propriétaires du Portugal (ANP). En quête de finances, le gouvernement socialiste vient d’approuver une révision des valeurs foncières des immeubles, affectant à « la localisation et l’opérativité relative » une part de 20%. Derrière ce jargon, il s’agit de taxer les appartements en fonction du soleil qu’ils reçoivent et de la qualité de leur environnement. « Les tables d’évaluation prennent en compte d’autres facteurs, comme l’existence d’un ascenseur, la climatisation centrale ou le garage, mais sans conteste, la grande nouveauté est l’apparition d’une taxe sur le soleil, qui augmente de 5 à 20%, cinq fois plus par exemple, qu’une piscine privée ou sept fois plus qu’un court de tennis », reporte le quotidien espagnol El Pais. « Paiera-t-on plus en fonction des heures d’ensoleillement de la maison ? Et si le temps reste nuageux une année durant ? Ou si un arbre me cache la lumière ? » ironisent les agents immobiliers lusitaniens. « Toutes les maisons du Portugal sont exposées au soleil car nous sommes un pays méridional où le soleil abonde. Tout indique que la phase suivante consistera à taxer l’oxygène que les gens respirent », s’indigne António Frias, président de l’ANP qui entonne presque à son insu le fameux « Taxman » des Beatles. Une solution pour échapper à l’impôt sans recourir à l’exil fiscal : relancer la construction de bunker et l’habitat troglodyte.
Pas dans mon port
Courroux à Helsinki, où l’on est vent debout contre le projet de Guggenheim, un bâtiment attribué à Moreau-Kusunoki, à l’issu d’un concours international rassemblant 1715 participants de 80 pays. Le parlementaire et architecte Alder Adlercreutz évalue le projet de l’agence franco-japonaise basée à Paris à l’aune du Guggenheim de Bilbao « L’architecture de Gehry est très différente, affirme sans risque d’erreur Adlercreutz, et je ne ressens aucune excitation à la vue du projet lauréat. Il donne l’impression d’une occasion perdue, et d’une proposition qui contribue très peu à améliorer la zone du port, qui n’apporte rien à l’espace public environnant et semble franchement déplacée », assassine le politicien-architecte, qui demande de refaire le concours en tenant compte du développement plus large de la zone du port. Le critique Jonathan Glancey renchérit « affirmant que le choix de cabanes en bois noir face à la pierre blanche des immeubles néoclassiques du front de mer était un affront et une provocation faite aux architectes finlandais. Ce ne sera pas du bois, car les règlements anti-incendie ne l’autorisent pas pour ce type de structure, ce devra être du béton ou de l’acier avec un bardage bois, le genre de chose qui ne plait pas aux Finlandais ». L’architecte Juhani Pallasmaa estime que le concours n’a pas produit de projet à la hauteur de ce site unique. Opposant de la première heure, il s’insurge contre un projet de business impitoyable maquillé en projet culturel. La fondation Guggenheim n’a pas souhaité commenter pour l’instant. De toute façon, ce n’est pas elle qui paye.

Guggenheim Helsinki – Courtesy Moreau Kusunoki © Bruno Levy & Julien Weill & Moreau Kusunoki Artefactorylab
Pas en mon nom
Colère chez Zaha Hadid Architects, après les appels de Patrik Schumacher à abolir le logement social, supprimer la réglementation urbaine et privatiser en masse les espaces publics. Le propos a frappé le public assistant à la conférence berlinoise de Parametric Pat, tout comme les ayants-droits de Zaha Hadid, prenant leur distance avec le directeur de Zaha Hadid Architects par un communiqué émanant de.. Zaha Hadid Architects ! « Le « Manifeste de politique urbaine » de Patrik Schumacher ne reflète pas le passé de Zaha Hadid Architects, et ne sera pas non plus son futur. Zaha n’écrivait pas de manifeste. Elle les construisait. Par sa détermination et son travail acharné, Zaha nous a montré que l’architecture peut être diverse et démocratique. Elle a inspiré toute une nouvelle génération autour du monde à s’impliquer dans leur environnement, à ne jamais cesser de questionner et de ne jamais cesser d’imaginer ». La maitrise des ambiances n’est pas un vain mot chez ZHA !

Schumacher wearing the parametric tuxedo he designed himself. Photograph: Martin Slivka via The Guardian
Modeste
Icone de l’optimodernisme (le modernisme optimiste) d’après-guerre, l’ancien Institut du Commonwealth renaît en musée du design après un lifting de 83 millions de livres, somme tirée de la vente de terrains adjacents sur lesquels ont été construits des logements de luxe. OMA et Allies & Morrison ont été chargés de dessiner les immeubles d’habitation et les façades réhabilitées du musée, John Pawson s’est chargé des intérieurs : « j’ai toujours le sentiment que j’aurais pu être plus modeste, confie Pawson au Guardian. (…) La dernière chose que vous voulez voir dans un musée est la main de l’architecte. Vous n’avez pas envie de vous laisser distraire ». L’architecte a déployé sa palette habituelle, impeccable et soignée. Toutes les parois sont revêtues de délicats panneaux de bois. « Je ne pense pas que le brutalisme conviendrait ici, dit Sudjic, directeur du musée, en défense des choix de l’architecte. C’est un bâtiment assez fragile. La première fois que nous l’avons visité, il était comme un réfrigérateur abandonné sous la pluie. Je pensais qu’il avait besoin d’aide ». Devenir un encombrant pour être secouru par une main charitable : une stratégie à suivre pour les immeubles en péril.

The floor-to-ceiling windows of the luxury flats overlooking the new Design Museum roof. Photograph: Philip Vile/Chelsfield Developments (Kensington) Ltd.
NSArchitecture
Pour les new yorkais, l’édifice du 33 Thomas Street est « l’immeuble aux longues lignes », une tour de 170 mètres et 29 étages aveugle de la base au sommet. Non qu’elle cherche à éviter une taxe sur le mur rideau et l’ensoleillement, mais plutôt parce qu’elle est entièrement occupée par un standard téléphonique de la compagnie AT&T. La NSA, la National Security Administration, les grandes oreilles américaines, donne à la tour un autre surnom : Titanpointe. Des documents recueillis par le lanceur d’alerte Edward Snowden révèlent qu’elle abrite un centre d’écoute, et que sa concentration de lignes téléphoniques en faisait un endroit idéal pour intercepter les conversations des ennemis et des amis des USA – FMI, banque mondiale, banque du Japon, UE, ONU, et au moins 38 pays différents dont l’Italie, le Japon, le Brésil, la France, l’Allemagne, la Grèce, le Mexique et Chypre. Lithium, nom de code d’AT&T, avait aménagé des pièces à l’accès ultra restreint pour les employés de l’agence d’espionnage américaine. John Carl Warnecke, un des architectes les plus en vue des USA entre 1960 et 1980, mentionnait le projet sous le nom de code « projet X », et en parlait comme d’un gratte-ciel habité par les machines. « Il est difficile de savoir combien de personnes travaillent au 33 Thomas Street aujourd’hui, mais les plans originaux de Warnecke prévoit d’y stocker de l’eau de la nourriture et d’assurer les loisir de 1500 personnes. Il devait aussi recevoir une réserve de un million de litres de fuel pour assurer le fonctionnement de groupes electrogènes permettant à l’édifice de fonctionner comme une ville auto-suffisante », dans l’hypothèse d’une coupure de courant ou d’une attaque nucléaire. En 1982, le critique d’architecture Paul Goldberger saluait dans l’immeuble « un des rares exemples d’architecture moderne de qualité du quartier », jugeant « qu’il s’insérait dans son environnement plus gracieusement que n’importe quel autre gratte-ciel du secteur ». Un employé de la NSA a-t-il pu intercepter cet éloge ?

Sketch of the plaza at 33 Thomas Street via The Intercept
refaites le mur
Beijing refait le mur, celui de 3 437,70 m ceinturant la Cité interdite. Les travaux commencés samedi « doivent remédier aux souffrances de l’âge qui menacent la structure impériale vieille de 600 ans ». L’ouvrage est touché par de nombreuses maladies, briques effritées, fissure dans la structure et affaissements qui affectent les fondations, selon le Beijing News. Tian Lin, professeur d’architecture ancienne à l’université de Beijing, affirme que ces problèmes sont causés par les facteurs naturels – autant que peuvent l’être le réchauffement climatique et les pluies acides. Dans le même temps, les infrastructures de la Cité interdites seront modernisées. Celles en place ne sont plus adaptées à un flot de visiteurs atteignant les 80 000 par jour, un ouragan d’origine touristique cette fois.
immobilier : Seveso sinon rien
A vendre au enchères, les anciens locaux du centre de formation des apprentis, rue de l’industrie, à Beauvais. 7637 m2 désaffectés depuis le départ de ses occupants vers un nouveau bâtiment « « Ces locaux sont une verrue pour nous », lâche Zéphyrin Legendre, président de la CMA (chambre des métiers et de l’artisanat, actuel propriétaire du bâtiment, NDLR). Initialement, la chambre voulait réutiliser le site pour le transformer en pépinière d’artisans. « Entre-temps, nous avons appris que le bâtiment était classé en seuil bas Seveso en raison de la société Soprogaz, située à côté », indique Christine Van Wabeke, juriste à la CMA. Ce qui a eu pour effet de mettre un coup d’arrêt au projet. « On ne peut rien en faire et c’est une charge financière car on continue de l’assurer, et on payait encore récemment la taxe foncière », poursuit-elle. » Pas très vendeur, d’autant qu’il est précisé que les futurs propriétaires seront limités dans l’utilisation des lieux. Les acheteurs potentiels devront préalablement se fendre d’une visite avant d’enchérir sur la mise à prix de 63 600€. Pour investisseur immobilier amateur de risques chimiques.
Olivier Namias