
Edito
Ça rouvre ! Non, il ne s’agit pas des restaurants, des musées, des salles de spectacles ou des bureaux hier désertés pour cause de télétravail, qui relèvent le rideau pour un retour à la normale post-crise sanitaire.
À Paris, la Bourse de commerce, le musée Carnavalet, l’hôtel de la Marine, la grande Poste de la rue du Louvre, la Samaritaine ; à Venise, le palais Vendramin Grimani ; à New York, le Vessel : autant de lieux qui retrouvent la vie qu’apportent des usagers ou des visiteurs après des fermetures qui ont pu durer des années.
Chacun de ces bâtiments n’est, pour paraphraser Verlaine, ni tout à fait le même ni tout à fait un autre qu’auparavant. Certains, comme l’hôtel de la Marine (page 6) ou la Poste du Louvre (page 34), ont préservé leur mémoire tout en s’ouvrant urbi et orbi, à la ville et au monde. Pour d’autres, tels le musée Carnavalet (page 8) ou le palais Vendramin Grimani, les travaux ont permis d’améliorer ce qui était déjà leur fonction et de proposer de nouveaux espaces ou d’optimiser leur parcours de visite.
À la Bourse de commerce (dont Architectures CREE vous a ouvert les portes dès l’automne 2020, n° 394), la seule réalisation de Tadao Ando à Paris – à part le petit espace de méditation de l’Unesco –, un changement de fonction radical fait passer d’un repaire un peu balzacien de boursicoteurs sur les matières premières à un écrin consacré à l’art des plus contemporains.
Des changements d’esprit, d’ambiance aussi. Derrière la façade à l’identique merveilleusement rajeunie de la Samaritaine, le plus spectaculaire rayon bricolage de France où l’on achetait ses clous à la pièce est devenu un ensemble d’ultra prestige, sorte de pâté d’alouette concocté avec un cheval de luxe pour un passereau de logements sociaux.
Toutes ces rénovations ont un point commun : les bâtiments rouvrent restaurés, modifiés, adaptés pour répondre à un programme fondé sur l’usage qui a dicté ses exigences à la forme. Seule exception, à New York, où comme souvent on fait cavalier seul. Là-bas, le Vessel, la dentelle d’escaliers conçue par Thomas Heatherwick pour servir d’emblème et d’aimant au nouveau quartier de Hudson Yards, vient lui aussi de rouvrir après plusieurs mois de fermeture. Des portes closes non pour cause de Covid ou de travaux, mais à titre de précaution, à la suite de trois suicides de désespérés se jetant par-dessus les garde-corps. Le troisième, celui d’un jeune Texan de 21 ans, a été celui de trop, et la fermeture a été décidée le temps que « des mesures de sécurité supplémentaires puissent être mises en place » et que soient consultés des psychiatres et autres experts de la prévention du suicide.
Dès le premier drame, le bureau de la Communauté concernée a demandé que soient rehaussés les garde-corps arrêtés jusqu’alors à hauteur de taille. En vain. Mêmes refus du promoteur pour demandes identiques après les deuxième et troisième suicides. Ce qui a provoqué la colère de Lowell Kern, le président de la Communauté: « Je comprends que le Vessel soit considéré comme une œuvre d’art et d’architecture. Mais si vous essayez de trouver un équilibre entre une esthétique artistique et la perte de vies humaines, il n’y a pas de choix possible. »
Pourtant, les 16 étages, 154 escaliers, 2 500 marches et 80 paliers du Vessel ont rouvert strictement inchangés, avec leurs garde-corps minimalistes. Seules les conditions de visite ont été adaptées : dorénavant, les visiteurs ne seront plus autorisés à monter seuls les marches, ils devront impérativement être accompagnés ou en groupe. Tant pis pour ceux qui aiment s’isoler avec eux-mêmes. Et, puisque business is business comme toujours, on en pro te pour faire payer l’entrée qui était gratuite depuis l’inauguration, officiellement pour financer le renforcement de la surveillance.
Un porte-parole du promoteur a déclaré que ces changements rendront le Vessel plus sûr tout en le gardant fidèle à sa conception. Fort bien, mais il y a tout de même quelque étrangeté à observer cet exemple caricatural d’une conception qui voudrait que l’usage s’adapte au bâti et non l’inverse. C’est peut-être ce qui différencie un artiste qui veut faire de l’architecture d’un architecte tout court, qui conçoit et construit avec la part d’humilité qui est l’une des grandeurs de ce métier.
Michel Sarazin
Sommaire
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