
Edito
Il y a tout juste un an, dans ces pages, au printemps 2020 (n° 393), nous attirions l’attention sur la dernière lubie en date de Donald Trump : un projet de décret imposant un style architectural « classique ou traditionnel » pour tous les bâtiments fédéraux.
Quelques milliers de tweets rageurs, une élection chaotique et une transition plus tard, le péril est levé. Signé le 18 décembre 2020, le décret « Promoting Beautiful Federal Civic Architecture » n’aura pas eu le temps de provoquer le moindre dégât puisqu’il a été annulé par Joe Biden dès le 24 février 2021.
Certes, on peut se féliciter que cette funeste épée de Damoclès qui menaçait la création architecturale soit rentrée dans son fourreau.
Certes, on peut sourire de l’outrance des milieux ultra-conservateurs américains, pour lesquels l’architecture est coupable, forcément coupable. Le réseau de médias pro-Trump One America News est même allé jusqu’à dédouaner l’ancien président de la responsabilité de l’agression contre le Capitole en expliquant que le respon- sable est « en fait Pierre L’Enfant, l’architecte de Washington, qui a conçu la ville pour s’assurer que toutes les routes mènent au phare de la démocratie qu’il a placé au centre de la ville ».
Mais la bonne nouvelle portée par cette affaire, c’est que la révocation du funeste décret est survenue deux mois seulement après l’entrée de Biden à la Maison Blanche, durant ces tellement symboliques et stratégiques «cent premiers jours » de la nouvelle présidence qui donnent le ton et les priorités d’un mandat. Il est bienvenu que l’architecture soit l’un des domaines choisis pour que soient ainsi reconnus l’importance et le caractère éminemment politique de la conception des bâtiments et des villes.
Dans un tout autre registre, ce même signal vient d’être donné, et avec plus de force, par l’attribution du Pritzker Price aux Français Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal, deux architectes aux antipodes du star-système pourvoyeur de ces « gestes » servant de vitrines pour épater et attirer le chaland.
Avec leurs réalisations modestes, frugales, discrètes, Lacaton et Vassal ne sont pas seulement l’archétype des anti-starchitectes. Ils sont surtout les concepteurs d’une architecture porteuse d’un message et d’une action fondamentalement politiques. Pour eux, la seule architecture qui vaille est celle qui améliore la vie, qui assure les équilibres entre l’économie, le social et l’environnement, qui préfère transformer plutôt que détruire.
Une vision qu’ils ont résumée d’une formule : « Les bâtiments sont beaux quand les gens s’y sentent bien. » Toute œuvre est un manifeste, celle-ci plus que toute autre.
C’est d’ailleurs ainsi que le jury du Pritzker et son président Alejandro Aravena, lui-même lauréat en 2016, ont justifié leur choix :
« Le travail de Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal reflète l’esprit démocratique de l’architecture. Cette année plus que jamais, nous avons senti que nous faisons partie de l’humanité dans son ensemble. Que ce soit pour des raisons de santé, politiques ou sociales, il faut créer un sentiment de collectivité. Comme dans tout système interconnecté, être juste envers l’environnement, être juste envers l’humanité, c’est être juste envers la prochaine génération. Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal ont toujours compris que l’architecture donne sa capacité de construire une communauté pour l’ensemble de la société. »
Ce prix, quoi qu’on en pense par ailleurs, a quelque capacité d’influence. Peut-être aidera-t-il à ce que ces convictions des Pritzker 2021 – et de bien d’autres – soient mieux comprises et reçues par les responsables de la commande publique ou privée. N’en déplaise à Clausewitz, Trump, Biden, Lacaton, Vassal et le jury Pritzker confirment que l’architecture est bien la continuation de la politique par d’autres moyens.
Michel Sarazin
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François Leclercq : «Le logement doit redevenir un espace de liberté »
Lacaton et Vassal, le Pritzker du plaisir d’habiter
L’utopie du gonflable
La haute couture du ciment-mosaïque
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