Comme pour le Musée national estonien, ouvert en 2016, ou pour le futur Hôtel de la Marine à Paris, le Musée d’art contemporain d’Hirosaki (Japon) met en exergue une architecture enracinée dans la spécificité du passé pour poursuivre une vision vers l’avenir. Le processus créatif unique de l’agence d’architecture ATTA est le fruit d’une méthode de recherche hautement collaborative appelée « Archéologie du Futur », dont l’architecte japonais Tsuyoshi Tane nous explique les tenants et les aboutissants.

Au début du XXe siècle, le rouge des briques des brasseries de saké se mêle au rose pâle des cerisiers sur la plaine au pied du Mont Iwaki.
Ces bâtiments fleurissent dans les villes du nord du Japon, comme à Hirosaki, avant de basculer vers la production de cidre afin de tirer profit des pommes de la région, et ainsi augmenter le niveau de vie des agriculteurs locaux. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, la production ralentie drastiquement et les bâtiments sont convertis en entrepôts de stockage.
Après avoir remporté le concours PFI organisé par la ville d’Hirosaki en 2017, l’agence d’architecture ATTA obtient l’autorisation de transformer l’un de ces entrepôts. Le projet, pensé en concertation avec les élus locaux, les constructeurs, les investisseurs et les commissaires d’exposition aboutit au Musée d’art contemporain d’Hirosaki (Hirosaki MOCA). Il est aujourd’hui le premier grand projet de musée réalisé par l’agence dans le pays d’origine de son fondateur, Tsuyoshi Tane.

Pour l’architecte japonais, il s’agissait de transformer l’entrepôt en musée, sans détruire et reconstruire le bâtiment. Pour cela, les murs ont été dépouillés de leur couche blanche, révélant les briques rouges d’origine. La toiture a aussi été changée : un toit en titane a été posé, de couleur jaune doré afin de rappeler le cidre longtemps réalisé dans la ville. Outre le choix esthétique, le titane permet d’obtenir une toiture légère. Une nécessité lorsque l’on sait le pays sujet à de nombreux épisodes sismiques.
Améliorer la résistance du bâtiment d’origine aux tremblements de terre a été l’un des challenges structurels les plus importants. Pour cela, une méthode de renforcement « invisible » a été retenue : un trou de 36 mm de diamètre a été percé tous les mètres, dans les murs de brique du bâtiment, dans lequel un mélange d’acier et de béton a été versé.

L’Hirosaki MOCA, qui a ouvert ses portes au grand public le 11 juillet 2020, c’est : cinq salles d’exposition, dont une galerie de 15 mètres de hauteur sous plafond, une galerie collaborative en résidence et trois studios, une bibliothèque et une boutique et café.
Tsuyoshi Tane : « l’architecture doit construire le futur en utilisant le passé »

La conception du Musée Hirosaki fait appel à 3 concepts : « mémoires en continu », « spécifique au site » et « spécifique au temps ». Pourriez-vous nous les expliciter ?
Tsuyoshi Tane. Le concept de « mémoires en continu » ne consiste pas à créer un nouveau bâtiment, et à effacer le passé, mais plutôt à utiliser ce qui a existé et existe encore. Ce faisant, nous prolongeons la durée de vie du bâtiment et créons ainsi une continuité dans le temps. Pour le musée d’Hirosaki, il s’agit d’utiliser ce qui existe depuis plus d’un siècle. C’était une usine de saké, puis une cidrerie pendant la Seconde Guerre mondiale et enfin la plus grande zone de stockage pour cette activité cidricole.
Les briques rouges d’origine ont été révélées et préservées, et de nouvelles briques assorties ont été ajoutées quand nécessaire. Le toit honore aussi ce qui est passé. La couleur, « cider gold » [comprendre « jaune doré », NDLR] , fait référence à l’héritage de la cidrerie alors que le matériau, le titane, l’ancre dans le XXIe siècle.
Le concept « spécifique au site » touche à l’intérieur du bâtiment. Dans les musées, les œuvres d’art sont le plus souvent exposées sur des murs blancs, ce qui peut être fatigant et réducteur pour les artistes, et créer de l’ennui chez les visiteurs. Au musée d’Hirosaki, nous avons mis en place ce concept en peignant les murs dans une couleur noir charbon. Vous disposez ainsi d’un espace de création unique pour les artistes, que vous ne trouverez nulle part ailleurs. Cela joue aussi avec la curiosité des gens, et les pousse d’une certaine manière à venir dans ce musée, même s’il est à quatre heures de Tokyo.
Le musée d’Hirosaki est construit autour d’un troisième concept « spécifique au temps ». Comme les durées d’expositions peuvent varier selon les contenus ou les artistes, l’espace doit être adapté. Pour ce faire, nous avons créé un grand espace, qui peut être divisé en plusieurs espaces plus petits, si nécessaire. De cette façon, vous pouvez proposer une exposition avec un artiste, ou une autre qui présente une multitude d’artistes, créant ainsi un dialogue.
Le concept prend également en considération la période de l’année. En hiver, en raison des chutes de neige et de la complexité de l’accueil des visiteurs au musée, le grand espace peut devenir une résidence pour les artistes qui préparent la prochaine exposition au printemps ou pour les jeunes artistes qui travaillent sur leurs projets.
Les 3 concepts énoncés plus haut s’insèrent-ils dans le processus plus global de création « Archéologie du Futur », qui a fait la réputation d’ATTA ? Qu’est-ce que ce processus de création ?
T.T. En utilisant les trois concepts de « mémoires en continu », « spécifique au site » et « spécifique au temps », nous combattons la production constante du « nouveau » : de nouveaux bâtiments, nouvelles villes, nouveaux produits… qui sont rapidement consommés et obsolètes. L’architecture doit durer dans le temps. C’est cela le processus de création « Archéologie du futur » : créer un futur en utilisant le passé.
Tout comme le ferait un archéologue, nous devrions essayer de creuser, d’exhumer les souvenirs du lieu. Et ainsi ramener dans le futur des souvenirs sans doute déjà oubliés. C’est ce que nous avons fait avec le musée d’Hirosaki. Nous ne savons pas, outre le fait que c’était pour en faire une usine de saké, qui a créé le bâtiment et pourquoi à cet endroit de la ville. En exposant les briques rouges, nous matérialisons ainsi ces souvenirs, vieux de plus de 100 ans et qui dureront encore longtemps.
Le musée d’art contemporain de Hirosaki illustre le nouveau rôle du musée d’art au XXIe siècle. Quel est ce rôle ?
T.T. Nous voulions que le musée aille au-delà de la collecte et de la conservation des œuvres d’art. Nous voulions qu’il communique avec les gens, qu’il les interroge : passer de « c’est une peinture célèbre » à « ce que cette peinture signifie pour nous ».
Pour cela, nous devions cesser d’exposer les œuvres d’art dans un ordre chronologique et opter pour une juxtaposition. Parfois, deux artistes d’une époque ou d’un type d’art différent peuvent dialoguer : Picasso et Giacometti ne sont pas de la même génération et pourtant leur travail est similaire. La juxtaposition de leurs œuvres pourrait accroître notre connaissance et notre compréhension de leur art.
Rémi de Marassé
Le Musée d’art contemporain d’Hirosaki :
Statut : Livré (avril 2020)
Lieu : Hirosaki, Aomori, Japon
Date: Avril, 2020
Surface du musée : 3,089.59 m², café et boutique : 497.69 m²
Programme : Musée d’Art Contemporain
Architecte : Atelier Tsuyoshi Tane Architects
Concept: Tsuyoshi Tane Project
Manager : Haruki Nakayama Project
Architect : Valentino Pagani, Daisuke Maeda, Aoi Akimoto
Equipe : Kuniyuki Okuyama, Matteo Broggini, Shota Yamamoto, Matteo Lunanova, Hiroki Sato, Yosuke Tsukamoto, Ryosuke Yago
Musée
Représentant du projet : Starts Corporation Inc. Management
Musée : N&A Inc.
Architecte: Atelier Tsuyoshi Tane Architects
Management de projet : NTT Facilities Inc. + NTT Facilities Tohoku Inc.
Structure: Obayashi Corporation + Starts Cam
Eclairage : Izumi Okayasu Lighting Design
Ingénierie : P.T.Morimura & Associates, Ltd.
Construction : Starts Cam + Obayashi Corporation+Minami Kensetsu
Café et boutique
Architecte: Atelier Tsuyoshi Tane Architects
Management de projet: Strats Cam
Structure: Yasuhirokaneda Structure
Eclairage : Izumi Okayasu Lighting Design
Construction: Nishimura-Gumi