Après le classement en 2005 de la ville du Havre au patrimoine mondial de l’humanité par l’UNESCO, l’œuvre d’Auguste Perret achève sa traversée du désert. Huit « chefs d’œuvres » parmi ses nombreuses réalisations, ont été exposés l’an passé, pour une rétrospective dans les murs même du Palais d’Iéna que l’architecte érigea en 1939. Sa dernière œuvre méconnue voire oubliée, le Centre de Recherche de Saclay, conforte cette (re)découverte à travers la restructuration du restaurant du CEA, construit au début des années 50. « Réinterprété de manière contemporaine » par l’architecte Olivier Delaittre pour reprendre ses termes, cet édifice se veut emblématique de l’architecture développée par Auguste Perret sur le site de Saclay dont le cœur historique se noie aujourd’hui dans une banlieue de bâtiments de béton rose construits “à la manière de”.
En effet, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement français décide de doter le pays d’un grand centre d’études nucléaires aux portes de Paris. Auguste Perret défend l’idée d’un “Palais des Sciences” ou “abri permanent à la ligne monumental” pour incarner l’excellence et la modernité. Face aux tenants d’une architecture “légère” à démolir et reconstruire en fonction des besoins, sa conception d’ “abri souverain” l’emporte et une vingtaine de bâtiments en béton verront le jour sur ce nouvel ordre architectural. Prenant en compte les contraintes scientifiques, le plan masse évoque le classicisme de Versailles, déterminant des îlots aux façades rythmées par des colonnes et panneaux de béton rose. Achevé en 1952, deux ans avant la mort de l’architecte, le restaurant illustre cette architecture rationaliste dont la structure béton trouvait ses références dans l’antiquité.
Au fil du temps, des aménagements successifs (sans compter l’extension d’une cuisine adjacente en bardage dans les années 90) ont parasité le parti d’origine. Pour le remettre en valeur, l’agence Olivier Delaittre a libéré le volume de la salle à manger en tirant parti des sheds, tout en intégrant avec habileté les éléments nécessaires au confort thermique et acoustique. « Pour atténuer l’impact de la cuisine en bardage métallique, un habillage d’étroites planches irrégulières de bois massif pré-patiné gris en autoclave évoque les empreintes des coffrages encore visibles sur la structure béton d’origine. Pour le confort acoustique, de nombreux dispositifs sont mis en place tels les doublages en plâtre perforé, enduits absorbants, cloisons basses et mobiliers en stratifiés micro-perforés, ou intrados des sheds vêtus d’un complexe amortisseur paré de fines lames de bois » précisent les architectes de cette délicate réinterprétation.
S.R.
Paru dans Archicréé numéros 367
Courtesy CEA/Julie Delaitre-Vichnievsky