Durabilité, survivalisme, fuites et religion, l’architecture anti-SDF au Royaume-Uni, des cochons contre le trump-sign, un après Bauhaus sinistre, Le Signe de Chaumont sans financement, Gehry contre Meyer à LA. La revue de presse du 13 décembre 2016

The size of Trico leads to a need for wide corridors and open halls, but to the credit of the game they never feel empty or out of place via Eurogamer
Vert Dieu
« La force du changement » : tel est l’intitulé du séminaire organisé par l’Ordre des architectes planificateurs, paysagistes et patrimoniaux de la Province de Pavie ce jeudi 15 décembre au cinéma Politeama, Pavie, corso Cavour 20. « A cette occasion, la théorie globale de l’encyclique « Laudato Sii » du Pape François est appliquée à l’architecture », nous apprend La provincia pavese. Les principaux invités seront Stefano Boeri, architecte milanais concepteur du « bois vertical », gratte-ciel arboré du quartier Varesina à Milan, Paolo Cresci du bureau Arup de Pavie, du maire de cette même ville ainsi que de plusieurs responsables à l’urbanisme et autres élus de la région, sans oublier don Franco Tassone, qui ouvrira le séminaire par un commentaire de l’encyclique, qui est « avant tout un document religieux ». Certains croyaient, à tort, qu’elle définissait les douze cibles apostoliques de la Haute Qualité Ecclésiastique (HQE).
Eclectique et mystérieux
« Un château balayé par le vent, s’écroulant dans une mer blanchie par le soleil. Un sanctuaire vertical, s’élevant au-dessus d’un paysage de ruines en décomposition et de roches moussues. Une tour isolée entourée de vastes gouffres, parsemée d’allées hautes et de rebords couverts de végétation ». Un décor d’Heroic Fantasy qui sert de cadre au dernier jeu vidéo du Japonais Fumito Ueda, « The Last Guardian ». « Bien que les jeux de Fumito Ueda dépeignent des relations délicates, de monstrueuses bêtes et des mystères inexpugnables, ce sont toujours leurs espaces architecturaux particuliers qui leur ont conféré une forme tangible » constate Eurogamer, qui s’est interrogé sur les références architecturales ayant inspiré cet environnement si particulier. Le webzine croit reconnaître des emprunts à De Chirico, Piranese et Gerard Trignac, graveur bordelais que l’on pourrait qualifier de Piranese-Punko-industriel. « Au final, l’architecture du Last Guardian, drapée dans la brume, chargée de détails, vieillie par les mousses, arrive à échapper au pastiche pour restituer les structures d’un rêve à demi-oublié devenu réalité ». Que fera Ueda quand il s’entichera du brutalisme?
Via Eurogamer

With such a stripped down aesthetic, The Last Guardian’s architecture stands out as much more than just a practical game space. via Eurogamer
Dans la ville qui pique
« Une campagne contre les sans-abri est menée dans les villes britanniques, conclut une nouvelle enquête qui affirme que les tactiques de « nettoyage des rues » sont utilisées par les planificateurs et les entreprises de sécurité pour empêcher les gens de se reposer ou de dormir dehors ». The Guardian se fait l’écho d’une recherche conduite par Crisis, une structure caritative qui s’occupe des SDF en Angleterre et au Pays de Galles. Crisis a interrogé plus de 450 personnes sur son territoire d’action. 6 sur 10 font le constat d’un accroissement sur ces dernières années des dispositifs d’architecture défensive destinés à éloigner les SDF, à les empêcher de s’asseoir ou de s’allonger, éléments d’aménagement auxquels s’ajoutent le renforcement des vigiles et l’emploi de haut-parleur perturbant le sommeil. D’après Ian Borde, professeur d’architecture à l’University College de Londres, ces mesures anti-SDF traduisent un changement d’attitude générale envers l’espace public, qui se transforme en « Lakeside ou Bluewater mall (centres commerciaux) où tout est homogénéisé et régulé, jusqu’aux toilettes nettoyées toutes les dix minutes. Cela convient pour un centre commercial, mais pas pour l’espace public, surtout lorsqu’il est équipé d’éléments prévenant la pratique du skateboard, au d’autres accessoires empêchant les gens de s’assoir et de s’allonger ». L’enquête est illustrée d’images du photographe Jeff Hubbard, qui a recensés des dizaines de dispositifs anti-sdf à Londres.
Via The Guardian

Spikes prevent people lying on them. Photograph: Jeff Hubbard/Crisis via The Guardian
Survivalisme vs durabilité
Les architectes occidentaux s’engagent-ils réellement contre le changement climatique ? Le critique Daniel Brook en doute « leur aveuglement face à ces questions apparait inversement proportionnel au nombre de fois où ils s’autoproclament acteurs d’un âge d’or de l’architecture verte, produisant à la chaine des monolithes certifiés LEED ». Bâtiments que Brook estime entourés d’un voile de supériorité morale presque insultant pour les pays en voie de développement. Reprenant les propos de l’agence singapourienne WOHA, à laquelle il consacre un livre, il suggère de « remplacer le terme de durable – utilisé si souvent et sans réflexion qu’il est devenu un cliché fatigant – par le plus sévère mais plus approprié « survivalisme » », plus franc sur les enjeux environnementaux, affirmant se préoccuper de la survie de la planète quand leur but non avoué est la survie de l’espèce humaine.
via Conversations
Athens-Caracas
Spencer Frye, directeur du bailleur social à Athens (Géorgie – USA) ne savait comment traiter la réhabilitation de 24 logements répartis dans 10 maisons de son patrimoine. Jusqu’au jour où l’un de ses employés lui ont passé un livre sur l’architecture du Venezuela. « Et voilà donc que les maisons sont maintenant repeintes en couleurs vives, leur toitures de bardeaux remplacées par des couvertures métalliques. Les duplex rénovés sont repeints en bleu « aqua » rehaussé d’accents oranges autour des portes et des fenêtres : orange aux accents bleus; violet avec accents bleus et jaunes avec accents verts ». Un ripolinage arc-en-ciel exaltant une réhabilitation engageant 15 000 US$ par logement.
Via Online Athens
Spider cochon
L’activisme anti-trump s’incarne dans différents avatars architecturaux. Après le fameux mur de séparation entre le Mexique et les USA imaginé par des architectes mexicains, l’agence New World Design vient d’imaginer de masquer le signe Trump de la tour éponyme de Chicago par quatre cochons gonflables dorés. Une intervention à clés sous-tendue par des codes à décrypter : l’animal choisit figurait déjà sur la pochette de l’album animal des flamands roses (en VO, Pink Floyd). Il est aussi une allusion à l’ancienne Miss Univers Alicia Machado, que Donald avait comparé à Peggy la cochonne. Le nombre de suidés rappelle la durée du mandat, et les quatre années qu’il reste à supporter Trump. Ben mon cochon !

Via Huffington Post Quebec
Gehry vs Meyer
La Los Angeles Conservancy, une association à but non lucratif s’occupant de la préservation du patrimoine angelino, attaque en justice la municipalité qui vient d’approuver un complexe de commerces et logements sur le Sunset Strip. Motif : l’approbation d’un projet de Gehry qui prévoit la destruction de la Chase Bank dessiné par Kurt Meyer dans les années 60. « En écartant pas un, mais deux projets offrant des alternatives viables de conservation, la Ville a violé la loi ». La cour a demandé l’annulation du permis de construire et arrêté le chantier : « … quand, comme ici, les objectifs fondamentaux d’un projet peuvent être réalisés sans démolition d’un bien historique, le CEQA (California Environmental Quality Act) s’oppose à cette perte culturelle inutile ». Pour réaliser ce monument, le financier Bart Lytton avait lui-même dû raser les « jardin d’Allah », un ensemble de bungalow converti en hôtel fréquenté par des clients aussi prestigieux qu’Orson Welles et Frances Scott Fitzgerald.
via LA Curbed
L’esprit BauhauSS
Surprise dans l’exposition Bauhaus présentée au musée des arts décoratifs à Paris. Sur une planisphère résumant visuellement l’héritage du Bauhaus, sont localisés Tel Aviv, Flaine, Ulm, et… Auschwitz, conçu par Fritz Ertl, étudiant devenu membre de la SS. « Faire figurer Auschwitz parmi les lieux témoignant de « l’héritage » du Bauhaus est une véritable monstruosité » s’offusque sur internet un architecte dont le père avait été formé à l’école. Pour Anne Monier et Olivier Gabet, commissaires de l’exposition, « certains élèves ont flirtés avec des idéologies totalitaires, l’historien de l’architecture Jean-Louis Cohen le raconte très bien ». S’il confirme la vérité historique, Cohen estime « choquant et difficilement compréhensible de présenter les choses de cette façon : « ça fait un trou dans le mur », estime l’historien. En guise d’enduit de rebouchage, le musée prépare une notice explicative.
Via Marianne
(in)soutenable architecture
Premier établissement « zéro carbone » du Royaume Uni, l’école primaire de Darlington passait pour un édifice visionnaire lors de son inauguration en 2010. Cependant, trois ans plus tard, le bâtiment était fermé, et ses 300 élèves relogés dans des locaux provisoires. Six ans après sa livraison, l’édifice modèle vient d’être démoli. Des fuites étaient apparues dans sa toiture durable dès sa mise en service. Un rapport condamne le design de l’ouvrage de couverture, et souligne la complexité du système de recueil d’eau de pluie. « Les problèmes se concentrent autour de la toiture révolutionnaire et son revêtement de fines lattes de noisetier local. Le bois devait fournir une enveloppe naturelle et respirante se dispensant de tout type de pare-pluie ou d’étanchéité ». Affirmant que des erreurs de conceptions sont à l’origine des sinistres, les autorités locales réclament 7 millions de livres de dommages et intérêts – et demandent aux architectes de couvrir les frais de réparation et de locations de locaux temporaires. Les intéressés se refusent à tout commentaire tant que les procédures sont en cours.

Dartington Primary School, Totnes via The Plymouth Herald
Mauvais Signe
Pour ouvrir le Signe, Centre national du graphisme conçut par Moatti et Rivière, Chaumont avait pratiquement sacrifié son festival de graphisme. Quelque mois après son ouverture, l’équipement n’a déjà plus les moyens de garantir ses missions : plus de la moitié de son budget de fonctionnement, estimé à 3 millions, manque à l’appel. « Sans nouvelles du ministère de la Culture, qui s’était engagé en 2016 à soutenir le projet, le graphiste Vincent Perrottet, conseiller scientifique du Centre, a donc rédigé une pétition, mise en page par Les Graphiquants. Il demande à l’Etat, à la Région Grand Est et à la municipalité de verser chacun 850 000 euros. Soit, rappelle-t-il, un dix-millième du budget de la Culture. Un dix-millième pour faire fonctionner un centre unique en Europe, voire dans le monde. Un dix-millième pour combler un vide culturel persistant. Pour le prix de trois missiles Exocet (800 000 euros pièce environ), le sort du Signe serait donc assuré ». En l’état actuel, le somptueux bâtiment a surtout l’allure d’un chant du cygne.
Tout chose-Xavier de Jarcy – via Télérama
Olivier Namias