Le 31 mai 2016, le président de la République Francois Hollande et le maire de Bordeaux Alain Juppé inauguraient, côte à côte la Cité du Vin à Bordeaux. Portant l’ambition de devenir un lieu emblématique, celle-ci est bâtie à la lisière d’un nouveau quartier les Bassins à flots sur les bords de la Garonne. Nouvel ovni ou nouveau totem, ce projet qui a pris forme sous les mains d’Anouk Legendre et Nicolas Desmazière de l’agence X-TU fait débat.

in terredevins.com
« Avec deux présidentiables qui trinquent au champagne, des sommeliers dans leurs petits souliers, des journalistes excités, une manif regroupant syndicats et écolos, une coupure de courant par la CGT, un blocage sur la rocade, la journée de l’inauguration de la Cité du Vin a été particulièrement chargée » introduit rue89 Bordeaux.
Assimilation et comparaison

in lesechos.com
« Dès les années 80, l’idée d’un lieu dédié au vin avait germé à Bordeaux, «capitale mondiale du vin» selon son maire, qui reconnaît «manquer de modestie». Plusieurs projets émergent avant d’être abandonnés. L’idée d’une Cité du vin dans sa forme actuelle germe à partir de 2008 » précise Libération. Le nouveau site espère avoir le même impact touristique pour la ville que le musée Guggenheim pour Bilbao (Espagne). Tourmag titre « Bordeaux : (Alain Juppé) La Cité du Vin sera mon Guggenheim ! » tandis que Libération introduit « Le nouveau temple de l’œnologie qui a ouvert ses portes mardi se veut à la fois Guggenheim local et vitrine du secteur à l’échelle internationale ». Rien que ça ! « A Bilbao, le musée dessiné par Frank Gehry est lui-même une œuvre d’art qui a transfiguré la ville. Mais si Desmazières et Legendre de l’agence parisienne XTU n’ont pas la notoriété de l’architecte américain, ils ont donné naissance à un bâtiment audacieux, dont les formes tout en courbes évoquent « l’âme du vin » » nous disent Les Echos.

in tourmag.com
Pour cet écrin à la forme géométrique liquide, Anouk Legendre précise dans les lignes de Bati Actu « « L’idée était de raconter l’univers du vin dans un lieu qui marque le paysage et qui soit une sorte de phare pour la Ville. D’où ce projet aux contours indéfinissables, tout en courbes, aplati à sa base et s’élevant tel un goulot de bouteille » (…). C’est la dégustation d’un château Hosanna, un pomerol de 2009, qui aurait tout déclenché. En appréciant les arômes de ce vin à la « dimension divine », Anouk Legendre et Nicolas Desmazières (…) auraient eu la vision de leur projet pour la Cité du vin à Bordeaux. « Nous avons voulu intégrer dans un même élan l’idée de verticalité et d’horizontalité. Une forme de plénitude comparable à ce que nous avions éprouvé lors de notre dégustation, insistent Anouk Legendre et Nicolas Desmazières. Nous nous sommes tout de suite intéressés à la dimension de l’élément liquide : génie du vin, génie du fleuve » raconte Le Monde. Pas étonnant que le projet prête aux comparaisons. « Ils ont imaginé un lieu évocateur empreint de références identitaires : le vin qui tourne dans le verre, le mouvement enroulé du cep de vigne, les remous de la Garonne. D’autres parlent de carafe à vin, voire, moins poétique et plus sarcastique, de godasse, de foie surplombé d’un intestin, ou carrément d’étron », selon rue 89 Bordeaux. « D’aucuns, soulevant le courroux des architectes, y verront une carafe, d’autres un serpent de mer surgissant du Port de la Lune. (…) D’autres enfin, plus fidèles au projet, le mouvement du vin dans un verre, tourbillon centrifuge duquel émanent toutes les émotions » indique Terre de Vins.

in chroniques-architecture.com
Il ne s’agit pourtant pas du premier événement architectural qui traite de la question du vins, au vue de la construction de nombreux chais par des starchitectes que nous remémore Chroniques d’architecture : « dans la région, les «starchitectes» vendangent déjà depuis 20 ans les caudalies architecturales des plus «vieux» crus classés, à l’image des helvètes Herzog et de Meuron, du parisien Jean-Michel Wilmotte ou du sarladais Jean Nouvel. Pour l’occasion, ouverture d’un mathusalem aux effluves balsamiques et empyreumatiques que la cité des vins aura eu le bon goût de carafer ».
Signature
Pour cet équipement, les architectes du pavillon français de l’Exposition Universelle de Milan 2015 réitèrent avec une structure bois. Bati Actu nous explique : « l’ouvrage repose sur une structure en bois, constituée de 574 arches cintrées, toutes sur mesure, en lamellé-collé. Celles-ci s’élèvent dans la tour jusqu’à l’étage du belvédère grâce à 128 épines culminant à 55 mètres dans une torsion, enlaçant au passage les différents étages. L’enveloppe est ainsi constituée de panneaux en verre sérigraphié plans et cintrés de teintes variables, et de panneaux d’aluminium laqué irisé de teinte uni. » En vue de l’ouvrage, Libération fait référence à un autre de leur projet : « les architectes ont imaginé une forme tournante qui est en quelque sorte devenue leur signature depuis la construction du Musée de la préhistoire de Jeongok, en Corée du Sud, en 2011″. Un bâtiment signature donc ? Une pensée pour Gehry ?
Scénographie

in lefigaro.com
Certes, ce musée qui n’en est pas vraiment un a dû être conçu en étroite collaboration avec les scénographes. « L’agence britannique Casson Mann Limited ont ainsi imaginé des alcôves en forme de bouteille de vin », selon Bati Actu. « Sur 3000 m2, à travers 19 modules thématiques, pour la plupart interactifs, le parcours de la toute nouvelle Cité du vin est immersif, sensoriel et surtout tactile ». Le numérique est omniprésent : images 3D, diffusion d’odeurs, décors immersifs… « Rarement une scénographie n’aura été aussi en accord avec une architecture. La réussite du parcours de la Cité du vin tient à l’étroite collaboration entre l’agence parisienne X-TU et la britannique Casson Mann » nous dit Le Figaro. Telerama confirme : « le projet de l’agence X-TU nous a séduits à la fois par son architecture novatrice, ses formes courbes, sans couture, dans la mouvance de Zaha Hadid ou de Frank Gehry, mais aussi parce que les architectes avaient vraiment travaillé avec les scénographes. Si on voulait une forme singulière, on ne voulait pas d’une coquille vide… » affirme Philippe Massol » directeur de La cité du Vin.
Sur fond de politique

in lesechos.com
Ovni ou emblème, ce bâtiment est aussi un enjeu politique, notamment pour Alain Juppé, maire de Bordeaux, et potentiel candidat à l’élection présidentielle, et le président de la République Francois Hollande. A l’arrivé de ce dernier, « tous les officiels sont déjà là. Alain Juppé bien sûr, Alain Rousset président du conseil régional, le premier ministre géorgien, l’ambassadrice des États-Unis, l’ambassadeur de Grande-Bretagne… Sans oublier Sylvie Cazes, présidente de la Fondation de la Cité du Vin, Philippe Massol, directeur général de la Cité, les architectes Anouk Legendre et Nicolas Desmazières, et bien sûr tous les représentants de la filière vin à Bordeaux » raconte Terre de vins. « Attendant l’arrivée du président sur le ponton de la Cité du Vin, Alain Juppé a qualifié la déambulation conjointe des deux possibles candidats à l’élection présidentielle de 2017 de « côte-à-côte républicain ». Interrogé si cela préfigurait selon lui le duel de 2017, il a rétorqué aux journalistes: « Vous ne pensez qu’à ça ». » explique Le Point.

in terredevins.com
Et voici François Hollande feignant de s’étonner d’avoir trinqué au champagne alors qu’il se trouve à Bordeaux. « A défaut d’être au beau fixe, le temps de l’inauguration était à la fête, tout le monde a dit du bien de tout le monde » annonce Le Moniteur. Et pourtant, L’Express titre : « A Bordeaux, Alain Juppé tacle François Hollande ».

in lexpress.com
« Les hommes sont comme les vins, avec le temps, les bons s’améliorent et les mauvais s’aigrissent » a lancé Alain Juppé, précise L’Express. « Cela fait trois fois que le président de la République se rend à une inauguration à Bordeaux, l’occasion d’échanger avec celui qui rêve de lui succéder. « Je vais finir par me dire que vous aimez les inaugurations bordelaises », a glissé dans un sourire le maire de Bordeaux en rappelant que le chef de l’État en était à sa troisième inauguration d’un événement dans sa ville, après le pont levant Jacques-Chaban-Delmas en 2013 puis, en 2015, le salon des vins et spiritueux Vinexpo » insiste Le Point.

in lemoniteur.com
Alain Juppé, acteur majeur du projet, nous dit dans les lignes du Figaro : « Quand j’ai été élu maire de Bordeaux, en 1995, je me suis rendu compte que nous faisions peu de choses pour le vin ; alors que la ville lui doit beaucoup, à commencer par sa notoriété internationale, son rayonnement touristique. Ma première idée a été de le célébrer». Terre de Vins souligne : « A un an de l’élection présidentielle, alors qu’il s’apprête à inaugurer la Cité avec son probable rival, François Hollande, il offre, avant de s’éloigner pour une année à la conquête d’un nouveau destin, un héritage universel à sa ville – le dernier de son mandat local qui a débuté en 1995 – tel l’apogée d’un grand millésime ».
Manifestement

in bfmtv.com
Bien entendu, pour un projet de cette envergure, il fallait bien quelques associations mécontentes et des manifestations pour malmener le tout, quoique celles-ci ne portent pas sur le bâtiment en lui-même, mais plutôt sur ce qu’il incarne. « Des opposants à la Loi travail ont prévu un rassemblement pour l’accueillir (FH), tandis qu’un collectif d’écologistes va organiser une action non violente contre l’utilisation des pesticides. (…) Plusieurs organisations écologistes – les Amis de la terre Gironde, Générations futures, Info Médoc pesticides, Vigilance OGM 33 et Les jeunes écologistes d’Aquitaine -, ont de leur côté appelé à « une action de désobéissance civile » », explique BFMTV.

in rue89bordeaux.com
« Ils ont projeté, sur la façade de la Cité du Vin, le message « Stop pesticides ». « Cette action était destinée à montrer notre détermination quant à la problématique de l’usage des pesticides en viticulture, qui sera passée sous silence dans cette même Cité du Vin » » raconte rue 89 Bordeaux. Valérie Murat insiste dans les lignes du Figaro : « Ce que nous condamnons surtout à propos de la Cité du Vin, c’est l’absence de toute sensibilisation à la biodynamie ou aux cultures alternatives. Et pour avoir l’orgueil de faire de Bordeaux la capitale de l’oenotourisme il faut une viticulture irréprochable. C’est loin d’être le cas du Bordelais qui est champion dans l’utilisation de pesticides. »
Financement inédit
Quoi qu’il en soit, construire le temple mondiale du vin à un coût : celui-ci s’élève à 81 M€ HT, dont 55 M€ consacrés à la construction et à l’aménagement scénographique. « Le coût du projet s’est finalement élevé à 81 M€ avec un dérapage de 28,6 %. Beaucoup mieux que d’autres, estime la ville qui a comparé sa Cité du vin à six autres grands projets culturels, comme la Fondation Louis Vuitton à Paris, le MuCEM à Marseille ou le Musée des Confluences de Lyon, dont les factures ont en moyenne grimpé de 158 %. Alain Juppé revendique ainsi l’exemplarité en termes de maîtrise des coûts avec, à l’arrivée, un prix du mètre carré d’environ 6000 €, la moitié des projets concurrents », selon Les Echos. A croire que dépasser les budgets est devenu monnaie courante. « Pour la ville, le coût est lourd puisqu’elle assume 38 % du financement. Le solde étant apporté par les autres collectivités, le Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux (CIVB) et une fondation reconnue d’intérêt public qui apporte 19 % du budget, principalement auprès des grands propriétaires, mais aussi de nombreux étrangers » continue Les Echos. En effet, le montage financier inédit implique près de 83 mécènes ! « La dimension internationale du projet apparaît là aussi : « Bob Wilmers, propriétaire de Château Haut-Bailly, a eu l’idée de créer une fondation aux Etats-Unis, outil beaucoup plus simple à construire que chez nous. Et George Sape, longtemps grand maître de la commanderie de Bordeaux à New York, a monté une série d’événements pour lever des fonds. C’est ainsi que le 30 avril 2015, aux Nations unies, Alain Juppé inaugurait la fondation en présence de soixante ambassadeurs. Les amis américains de la Cité ont financé l’auditorium, baptisé Thomas-Jefferson, du nom du deuxième ambassadeur américain en France, le premier à s’être intéressé au vin. » souligne Télérama.
Si certains n’apprécient pas …

in lemoniteur.com

in rue89bordeaux.com
« Autant le dire d’entrée de jeu, nous ne sommes pas fan absolu de l’édifice, ni de sa morphologie tourmentée assez indéfinissable, ni de son contenu qui peine encore à convaincre, au moins pour ce que nous en avons pu voir. (…) On a fait la visite, on a écouté les explications des architectes (…). On a bien compris que le bâtiment, campé tel un fier «signal» voire un «phare» de 35 mètres de hauteur (55 à la pointe des « épines »), au cœur du – nouveau? futur? – écoquartier des Bassins à Flot de Bordeaux «prenait le parti du fleuve» dans ses «courbes et contre-courbes», dans sa couleur changeante, dans sa forme sinueuse, dans son traitement paysager des abords qui «restaure le corridor écologique de la ripisylve » (vous chercherez vous-même dans le dictionnaire), etc. Soit. Mais le vin? La forme, encore vous dis-je, qui se veut évocatrice d’une carafe, des irisations du breuvage en mouvement qui tourbillonne dans un verre avant dégustation, de sa «robe» promesse d’enchantement et de sa robuste «charpente», etc. » révèle Le Moniteur.

in Olly Wainwright_twitter.com
… d’autres en font leur nouvelle attraction outre-atlantique

in huffingtonpost.com
« La Cité du Vin ne se définit pas comme un musée, selon son directeur, Philippe Massol » rapporte Le Monde, « l’homme du Futuroscope de Poitiers, qu’il a dirigé pendant dix ans » précise Telerama. « Ce lieu est un véritable équipement culturel dont l’ambition est clairement internationale », explique Philippe Massol. En plus d’un financement de l’Union européenne (18%), il n’est pas anormal de voir l’Américain Friends of La Cité du Vin, une structure outre-atlantique, financer le projet à hauteur de 300 000€. (…) Il faut dire qu’avec une consommation qui augmente de 0,5% chaque année, les Américains deviennent incontournables sur le marché du vin. Depuis 2013, ils en sont même devenus les premiers consommateurs en volume, devançant ainsi la France (29,1 millions d’hectolitres contre 28,1 dans l’hexagone) » explique le Huffington Post. Un parc a thème dédié à la célébration du vin donc, dont voici le site internet.
En Chiffres
2008 lancement du projet, 2011 concours, 2013 chantier, 2016 inauguration
13644 m² de surface du site et 12 927 m² shon de surface bâti
55 m de haut, 10 niveaux, 2 800 m² d’exposition permanente, 720 m² d’exposition temporaire, 250 places en auditorium, 19 modules numériques, 3 espaces de dégustation, 3 espaces de restauration en rez-de-jardin, 1 salon de lecture, 1 boutique « concept store », 1 restaurant panoramique, 1 belvédère au 8e étage à 35 mètres orné de 4 000 bouteilles suspendues
3 ans de travaux et 50 entreprises soit 225 emplois, 14 000 heures de fabrication pour la charpente, 574 arches cintrées, 2240 panneaux d’aluminium et 925 panneaux de verre sérigraphiés pour la tour vrillée soit 3165 panneaux de la façade, 300 pieux de béton ancrés dans la roche dure jusqu’à 30 m de profondeur, 70% des besoins énergétiques couverts par les énergies vertes locales.
81 M € HT dont 55 M € pour la construction et la muséographie, 83 mécènes, 5 ou 6 M de touristes annuels dans la ville, 750 000 hab pour la métropole bordelaise, 450 000 visiteurs attendus, surtout étrangers, 8 langues pour le « compagnon de voyage », entendre audioguide, 20 € le billet La Cite du Vin, tarif plein adulte, 38 M €/an de retombées et 250 emplois directs espérés
Dans la cave Latitude 20, 14000 bouteilles, 800 références au total dont 120 bordeaux et 150 autres vins français, 70 pays.

in france3-regions.com
« C’est sans doute une première, le président et le maire ont félicité nommément les architectes -Anouk Legendre et Nicolas Desmazières de l’agence parisienne X-TU- pour leur travail: «Je veux saluer l’exceptionnelle qualité du bâtiment, ce n’est jamais facile pour un élu de faire un choix d’architectes et jamais facile pour des architectes de faire comprendre le sens de leur geste, qui suscite toujours le débat, mais c’est aussi le débat, la controverse qui rendent les équipements lumineux, et c’est le cas aujourd’hui.» «Je veux donc féliciter Madame Legendre et Monsieur Desmazières pour le bâtiment qu’ils ont conçu, les matériaux qu’ils ont utilisés » indique Le Moniteur.
Avec 200 journalistes accrédités, seuls 15 articles n’ont pas cité les architectes sur quelques 40 articles lus ici.
Amélie Luquain