AccueilActualitéL’ANRU, quelle politique pour les quartiers de demain ?

L’ANRU, quelle politique pour les quartiers de demain ?

Alors que l’ANRU fête les deux décennies de sa création (1) – actée par le décret du 9 février 2004 -, et à travers elle, la mise en place d’une politique publique nationale « dédiée au renouvellement urbain des quartiers prioritaires de la politique de la ville », le collectif national intitulé « Stop aux démolitions ANRU », regroupant 50 associations et collectifs d’habitants, d’architectes, d’urbanistes de toute la France, s’est retrouvé le mercredi 7 février autour de différentes actions, à commencer par un grand rassemblement devant le siège de l’établissement public, suivi d’une réunion publique, d’une conférence de presse et d’une réunion inter-collectifs et associations.

Depuis sa création, le collectif reproche en effet à l’ANRU de soutenir une politique urbaine « destructrice » et fait circuler depuis fin 2023 une pétition intitulée « Stop aux démolitions ANRU », contestant les démolitions causées par la politique de l’ANRU « à l’origine de la démolition de 164 000 logements sociaux pour n’en reconstruire que 142 000 ». Le collectif national dénonce « une politique urbaine de fait hostile aux logements sociaux » et rappelait à cette occasion le « droit élémentaire commun à un logement décent et salubre, à l’accès aux équipements nécessaires et espaces publics entretenus, aux voies de circulation dégagées, aux espaces verts ». L’association a voulu surtout pointer le coût émotionnel que génèrent les différents projets de démolition pour leurs habitants. La question est aussi posée de savoir si la réhabilitation des logements est dès lors sacrifiée au profit de leur démolition, rappelant le coût carbone d’une démolition-reconstruction bien supérieur à celui d’une réhabilitation. La qualité du bâti enfin fut mise sur la table, défendue ardemment par les architectes, assistant avec effroi à la disparition d’œuvres architecturales remarquables.

 « Stop aux démolitions »
Parmi les démolitions controversées, le quartier du Mirail à Toulouse imaginé par Georges Candilis et qui dénombre 1 421 logements répartis sur sept immeubles, et dont la destruction des bâtiments devrait courir jusqu’à 2030. Alors que la qualité de ces logements est étudiée dans toutes les écoles d’architecture, la dynamique de démolition est pour nombre de spécialistes « un gâchis tant écologique, économique et humain, qu’architectural et patrimonial ». De rappeler les logements traversants, lumineux et spacieux – un T2 fait ici 66 m² -, la présence de loggias sur chacune des façades, l’inertie du béton utilisé pour les structures contribuant au confort d’été. Le collectif alerte sur le coût d’une démolition-reconstruction, vertigineux en comparaison à celui d’une réhabilitation, sans compter une prise au sol qui défie toute concurrence pour un nombre équivalent de logements dans le cas d’une reconstruction. L’environnement végétal enfin qui en subira les conséquences, garant pourtant des îlots de fraîcheur dans cette ville du Sud.
Les signataires de la pétition « Stop aux démolitions ANRU » pointent, parmi d’autres, les quartiers de la Butte-Rouge à Châtenay-Malabry, la Maladrerie à Aubervilliers ou encore l’Alma-Gare à Roubaix. Ils demandent une remise à plat des évaluations et une confiance renouvelée aux architectes et aux urbanistes.

Un état des lieux complexe
De son coté, l’ANRU rappelle les enjeux subjacents, parmi lesquels les nombreux dysfonctionnements urbains, la qualité du bâti souvent insuffisante, les problèmes de mixité sociale, motivant dans certains cas le financement d’une démolition-reconstruction. Rappelant en parallèle que sa politique privilégie largement les réhabilitations aux démolitions-reconstructions sur un « ratio d’à peu près deux-tiers de réhabilitation pour un tiers de démolition-reconstruction ». L’agence rappelle qu’il existe des constructions mal conçues, pour lesquelles aucune réhabilitation – thermique et/ou énergétique – permettant d’augmenter ses performances n’est possible, le besoin d’ouvrir certains quartiers que les constructions tendent à refermer sur eux-mêmes et ainsi libérer du foncier, l’idée enfin que les habitants des quartiers populaires vivent bien souvent à proximité d’échangeurs routiers caractérisés par un urbanisme de dalle empêchant tout îlot de fraîcheur. La question de la mixité urbaine enfin, sujet qui fait débat.

 Vulnérabilité climatique
L’enjeu climatique pourrait bien venir rapprocher les deux parties, porté notamment par Franck Boutté – Grand Prix de l’Urbanisme 2022 -, intervenant au récent colloque organisé par l’ANRU « Vingt ans de renouvellement urbain : penser les quartiers de demain ». L’ingénieur urbaniste insistait alors sur la nécessité de « faire avec » la ville, aux yeux de la transition écologique : « Les enjeux sont dans l’existant, rien ne sert de tout miser sur l’énergie positive dans la construction neuve. Il ne s’agit plus de faire de la surperformance », souligne-il. « En moyenne nationale, 80 % des bâtiments de 2050 existent aujourd’hui. Or combien sont adaptés ? Quasiment zéro ! »
Qu’en est-il de fait des quartiers concernés par la politique de renouvellement urbain ? « Ici les risques sont plus forts qu’ailleurs et la vulnérabilité plus élevée. Il faut donc imaginer des formes urbaines, des hybridations, des façades épaisses, des espaces publics, des arcades, des figures de l’ombre, des brises rafraichissantes. Car les iniquités climatiques existent, et là où les risques sont les plus forts, là où les populations sont les plus vulnérables, c’est là justement que travaille majoritairement l’ANRU, là aussi que les personnes sont les moins contributrices des émissions de gaz à effet de serre ». Franck Boutté pointe enfin des « sites très imperméabilisés, des bâtiments très minéralisés, construits trop vite et parfois inachevés, avec des façades lisses, non protégées, des logements petits, pas assez hauts sous plafond, pas assez profonds, non traversants ». On l’aura compris, des figures peu vertueuses du point de vue de leur résilience climatique. 

Une juste mesure ?
Le cas par cas semble de fait être le maître mot d’une situation fragile, pour les habitants en premier lieu, attachés à leurs logements et inquiets de les voir disparaître, pour les architectes et historiens qui regrettent que de nombreux sites aux qualités constructives, spatiales et urbaines remarquables se voient menacés de destruction alors qu’il faudrait au contraire les valoriser, et pour chacun de concilier confort de vie et transition écologique dans ces lieux les plus sensibles. Des échanges constructifs entre le collectif et la direction générale de l’ANRU sont à espérer, qui permettront de toute évidence d’apporter des réponses, au bénéfice de tous.

https://www.anru.fr/
https://sites.google.com/view/stop-aux-demolitions-anru/

____
(1) L’ANRU a organisé le 8 février un colloque “Vingt ans de renouvellement urbain : penser les quartiers de demain” consistant à tirer un bilan d’une « action en faveur de la transformation profonde des quartiers les plus pauvres », de définir « la contribution effective de la rénovation urbaine aux objectifs originels de mixité sociale et de transition écologique », de replacer « les perspectives à l’heure où les crises se multiplient avec une vulnérabilité renforcée de ces quartiers et de leurs habitants ».

Deux programmes ont été mis en œuvre dans 700 quartiers, visant 5 millions d’habitants, avec la mobilisation de 24 milliards d’euros d’aides qui auront permis de générer près de 100 milliards d’euros d’investissement.

ARTICLES SIMILAIRES

A lire aussi