Ce jeudi 1er décembre s’est déroulée la conférence de presse inaugurale de la 10e biennale internationale de design de Saint-Etienne, qui se tiendra du 9 mars au 9 avril 2017. Elle abordera la thématique des mutations au travail sous l’influence du design et posera l’industrie créative comme « accélérateur » de changements. La conférence s’est tenue dans les locaux d’AREP et Gares& Connections ; une belle façon d’illustrer le propos de la biennale, dans cet ancien atelier Panhard et Levassor, dernier vestige des usines automobiles de Paris.

Détroit : C : ShiftSpace (Detroit’s café + Bureau) Detroit edition of ShiftSpace during the 2016 Detroit Design Summit + Festival. Scenography: LAAVU featuring the works of Ben Saginaw, Carl Wilson, Floyd, LAAVU, Olayami Dabls, Senghor Reid, Thing Thing, Tiff Massey, Vector Lab, and 826Michigan. ©Creative Many Michigan
Mutations du travail
Olivier Peyricot, directeur scientifique de la biennale et du pôle recherche de la Cité du design, s’appuie sur les propos de l’historien et critique Siegfried Giedion, qui a identifié Catherine Beecher comme pionnière du design industriel. Fondatrice de « l‘économie du foyer » et auteure de l’ouvrage A Treatise on Domestic Economy for the Use of Young Ladies at Home and at School (1842), elle a mené des réflexions sur la rationalisation des déplacements et des gestes de la « ménagère » dans l’habitation, en transférant des process industriels aux activités domestiques. Pour faire court, s’en est suivi IKEA, la domotique et surtout le digital, qui a engendré une nouvelle organisation du travail à partir d’un outil unique. Le digital questionne notre rapport à la matière première, aux usages et à notre situation dans l’espace, abolissant les frontières physiques. Demain, la robotisation et l’utilisation décuplée de l’algorithme engendreront d’autres mutations.
Le design est interrogé en tant qu’outil de mise en forme de la modernité, accompagnateur et simulateur de changement. Il semble aujourd’hui en rupture avec ses fondamentaux (objets), devenu design de service, design citrique ou design social.

Stéphane Degoutin et Gwenola Wagon, Institut Néoténie pour la fin du travail / Neoteny Institute for the End of Work, Call center à échelle réduite, plantes et films en boucle, 2017. ©Stéphane Degoutin et Gwenola Wagon
Digital labor et tiers-lieux
La biennale de Design Saint-Etienne se structure autour de deux symptômes clés : le digital labor, qui représente l’arrivée du numérique dans nos vies quotidiennes et réorganise complètement le travail en termes de temporalité, de lieux mais aussi de contractualisations et de revenus ; les nouvelles organisation du travail à travers l’existence des tiers-lieux (Fablab, co-working place… ). Ces deux approches centrales seront articulées à des problématiques connexes comme la question des savoir-faire dans les métiers, les processus, l’embauche, le corps dans le travail, les cycles de production, l’automatisation, le bureau, etc. Les commissaires invités mèneront des réflexions autour de ces thématiques ; les points de vues divers et regards contradictoires constituant un panorama à un instant T sur un enjeu qui traverse la société et dont le design est un des acteurs.

Si automatique ? (if automatic ?) – Eric Fache : Photocomposition montrant l’amplitude mouvement du bras robot qui peut atteindre 3.5m de haut. Épaule, coude, poignet sont articulés et guident la mine qui trace. Le robot est autonome et ‘choisit’ ce qu’il représente et comment il le fait. © Guillaume Crédoz
Tour d’horizons
Petit tour d’horizons sur les expositions à venir, en commençant par « La fin du travail », une carte blanche commandée au duo Degoutin & Wagon. Dans un call center abandonné, dévoré par les plantes de bureau d’intérieur, seront projetées en boucle des vidéos présentant des scènes de folies au travail. Entre aliénation et résistance, attitudes hostiles et stratégies multiples de survie, sera questionnée la fin du travail.
Dans « Extravailances # Working Dead » l’anticipation sera de mise. Avec Didier Fiuza Faustino (artiste et architecte), Alain Damasio et Norbert Merjagnan (écrivains, auteurs de science-fiction) et le collectif Zanzibar, la science-fiction s’invite dans le design. Car les mutations s’accélèrent : celle des systèmes-experts contre les savoir-faire (critique de la multi-expertise donnée à tous par le biais du digital) ; des algorithmes contre la compétence sensible, des robots en lieu et place des gestes et des paroles. A travers mots, modules et sons, le visiteur sera immergé dans les récits à l’écoute des f(r)ictions.
KVM – Ju Hyun Lee et Frédric Burel partent de la figure du « travailleur horizontal », né de formes inédites de sédentarisation et de l’étirement du temps de travail, générées par l’accélération des nouvelles technologies, de l’information et de la communication. « Cut & Care – A chance to Cut is a Chance to Care », cherche à lui proposer un avenir protectionniste au travers de dispositifs d’écoute disséminés dans l‘espace environnant, invitant le visiteur à se couper de l’espace environnant et dans le même temps à prendre soin de lui.
Ainsi, la biennale de design de Saint-Etienne semble s’orienter vers la mise en place de dispositifs architecturaux, plutôt que sur l’exposition d’objets ; un design dont l’immatérialité témoigne des mutations au travail.
Amélie Luquain
L’ensemble du programme sur le site internet de l’événement
En quelques chiffres
10e édition – 1 parcours d’expositions (de 1 à 10) sur le site de la Cité du Design – 11 commissaires d’expositions internationaux – 30 lieux IN – 15 projets de l’Ecole Supérieure d’art et de design Saint-Etienne (ESADSE) – 9 écoles d’art et de design invitée par l’ESADSE – 9 labos mobiles d’entreprises
Comme invitée d’honneur cette année, Détroit, membre du réseau des villes créatives UNESCO de design et témoin de l’expérience d’une ville résiliente.