Après Hong-Kong, et avant Miami en décembre, Art Basel ferme ses portes aujourd’hui à Bâle : retour sur quelques moments forts de cette 46e édition, qui est toujours l’une des foires mondiales incontournables.
Art Basel, c’est une plongée en immersion totale dans l’art contemporain. Durant une semaine, la ville entière bat au rythme de l’événement, entre les sites majeurs incontournables et les foires associées. S’y croisent galeristes, artistes, mécènes, collectionneurs, occasionnels et confirmés, à côté d’un public bien plus large, curieux, amateurs, qui viennent prendre le pouls de ce qui se crée, se vend, déambulant parmi les stands comme dans un musée chaotique, dans une effervescence communicatrice. Tour à tour, chacun se perd, revient sur ses pas, retrouve un nom, reconnaît d’un coup d’œil au loin un Richter ou un Kiefer, quand ailleurs des œuvres de Jeff Koons sont à peine accessibles, protégées par des gardes du corps attitrés. Cette ruche où les cotes se font et se défont, c’est le cœur d’Art Basel, avec ses 284 galeries internationales, ses 4000 artistes, et des œuvres de la période moderne jusqu’à nos jours. Parmi les faits d’armes de cette 46e édition, on notait à la vente un tableau » Horse and Cows » de Max Ernst, réalisé vers 1919, ou une toile d’Yves Klein, de deux mètres de large, datant de 1861, créée avec un lance-flamme industriel. Cette juxtaposition des courants et des époques, c’est aussi une facette d’Art Basel, une façon de garder cette capacité à créer le « hype », tout en conservant les « valeurs sûres » d’investissement.

Marlborough Fine Art Julius von Bismarck | Egocentric system, 2015 © Art Basel
Pour les adeptes du monumental, l’immense hall de l’entrée abrite chaque année la section bien nommée « Unlimited ». Là, loin d’un parcours de galeries, c’est un slalom jubilatoire qui était proposé cette année autour de 74 oeuvres XXL, le visiteur étant accueilli dès l’entrée par l’étrange, caustique, voyeuriste et dérangeante performance de Julius von Bismark, « Egocentrique système », dans laquelle, assis à une table, l’artiste vaque à ses occupations dans un paraboloïde tournant.

Galleria Continua, Ai Weiwei | Stacked 2012 © Art Basel
Parmi les autres sculptures et installations,difficiles de ne pas s’arrêter au pied de la plateforme de roues de 760 vélos du Chinois Aï Weiwei, ou près de l’œuvre grinçante de Kader Attia inspirée du printemps Arabe, reprenant une scène d’un musée égyptien pillé à côté des manifestations : il utilise les mêmes vitrines, brisées durant l’attaque, qu’il explose à nouveau à coup de pierres à chaque présentation de l’œuvre. Plus loin on se détend devant les vidéos légères et drôles de Martin Creed , qui met en scène une traversée de rue, à travers différentes façons de marcher, ou la poésie lumineuse et astrale d’un Olafur Eliasson inspiré.

Galleria Continua, Kader Attia | Printemps arabe 2014 / © Art Basel
Pendant d’Art Basel en format plus réduit, Design Miami / Basel revitait cette année avec « Design at large » le préfabriqué dans l’esprit de Jean Prouvé. On notait particulièrement « la pièce en plus troglodyte » à poser dans son jardin par l’Atelier Van Lieshout, ou la simplicité de la Tea House en carton de Shigeru Ban.
Parmi les galeries exposées à l’étage, la galerie Maria Wettergen dévoilait une superbe suspension de Cecilie Bendixen qui allie sculpture et isolation sonore. Dans nos coups de coeur, le stand de la galerie sud-africaine Southern Guild, avec ses tables squelettes, ses cocons suspendues dignes de la planète Tatooine, dévoilait un design africain incisif et traditionnel. A noter aussi les incroyables bancs en pierre de Friedmann Benda Gallery et une forte présence du tressé déclinés dans de nombreux matériaux.
Parmi les foires associées d’Art Basel, on retiendra de nos pérégrinations Scope, et ses quelque 70 galeries pour son côté pop et graphique revendiqué, l’interrogation de l’image et du networking, une présence affirmée de la Corée, ou la foire Volta, qui a l’avantage d’être centrale. Peut-être plus politique, celle-ci fait cohabiter des galeries qui revendiquent un besoin d’utopies, comme la galerie Richard avec Dionisio Gonzalez, et ses créations architecturales so fifties, déposées dans des lieux improbables, comme une provocation à l’inspiration architecturale d’aujourd’hui. Plus loin, la galerie Beta Pictoris, d’Alabama, présentait Travis Sommerville, et son iconographie brutale de l’histoire raciale du Sud des Etats-Unis, dans l’esprit de la saisissante chanson » Strange fruits » chantée en 1939 par Billie Holiday, poésie crue contestataire sur le lynchage des noirs. Un travail contemporain qui résonnait étrangement après le bain de sang de Charleston.
Pour se remettre de ses émotions, on passait ensuite prendre un verre sur l’une des multiples terrasses de la foire de Liste. Dans cette maison- labyrinthe,aux allures d’usine anglaise réaffectée à un usage arty, le fil conducteur semblait être une certaine revendication d’art conceptuel mâtiné d’arte povera version 2015, qui tanguait entre le déjà-vu, le posé, ou l’inoffensif, bien loin malheureusement du radicalisme d’un Carl André ou d’un Richard Tuttle.
Avant de rejoindre les performances nocturnes où le parcours sympathique avait pour principal le mérite de relier les plus beaux points de vue de la vieille ville, un petit détour par l’exposition « Poetics and Politics of Data » du H3K rassurait sur l’inventivité des artistes numériques, entre la dénonciation habile des évasions fiscales d’un Paolo Cirion qui a hacké les noms de 200000 compagnies enregistrées aux îles Caïman et qui vous en offre des certificats de propriétés ou encore la vente de ses données personnelles par l’artiste Jennifer Lyn Moore.
Enfin, pour un soupçon de poésie et l’empathie scientifique, on passait chez Audemars-Piguet vivre l’expérience de « Synchronicity ». Enfermé dans une tente, on déambulait au son des criquets, les yeux rivés aux lueurs vivantes des lucioles : une installation-performance-recherche conçue par Robin Meier, qui s’interroge sur les phénomène de synchronisation spontanée dans la nature, et gère ainsi la synchronisation de 1200 lucioles sur des clignotements de leds, des grillons sur des tempos de basse, tout cela orchestrés à partir de des oscillations de deux balanciers, qui se mettent spontanément sur le même rythme, dans un principe de forces magnétiques. Fascinant !
Nathalie Degardin

A arte Invernizzi Gianni Colombo | Architettura cacogoniometrica. Ambiente 1984

Parcours Nuit | 303 Gallery, New York, Galerie Koenig, Berlin, Berlin et Kamel Mennour, Paris | Alicja Kwade | Der Tag ohne Gestern l lll, de 2014 à 2015 © Art Basel 2015

David Zwirner Dan Flavin |European Couples, 1966–1971, 1966-1971 illimité à Bâle 2015