La réhabilitation du téléphérique du Salève en Haute-Savoie valorise ce patrimoine exceptionnel du vingtième siècle conçu par l’architecte moderne Maurice Braillard. Sous la direction des architectes de DDA, elle est un moyen privilégié d’approcher la montagne, dans une volonté affirmée de répondre aux enjeux de notre époque.
Une victoire sur le vide
Le Téléphérique du Salève, chef-d’œuvre moderniste inachevé de l’architecte suisse Maurice Braillard en collaboration avec l’ingénieur français André Rebuffel, offre une expérience hors-norme et une vue imprenable sur le Léman. Construit en 1932, cet édifice de près de 2000 m² doté de technologies avant-gardistes est implanté à l’aplomb du vide à 1 100 m d’altitude. Georges Riondel, ingénieur civil, avait alors dessiné un puissant cadre structurel en béton permettant de reporter l’effort exercé par les câbles sur un noyau massif, solidement ancré au rocher, situé hors de la zone géologiquement instable mais loin à l’arrière des piliers de la gare. L’architecte Maurice Braillard a quant à lui développé de grandes portées, allégé la masse construite, accentué le porte-à-faux, éliminé les montants intermédiaires ; il a enfin sculpté le becquet d’embarquement et magnifié l’arrondi du restaurant.
En porte-à-faux au-dessus de l’abîme, campé sur de puissants poteaux, l’édifice fascine. Ses formes aérodynamiques et son élancement dans les airs forment une ode esthétique à la victoire sur le vide. Le restaurant semble suspendu aux nuages avec ses 72 mètres linéaires vitrés en continu. « La gare du téléphérique évoque moins la vitesse de déplacement propre aux transports modernes qu’elle ne traduit une notion de décollement et de voyage en apesanteur : suggestion d’un glissement silencieux, sublimation de l’essence mécanicienne du système, suspension des mouvements de la cabine. Tout ceci se retrouve dans le dessin du restaurant, dont le bandeau vitré fait en quelque sorte décoller les bandeaux pleins. L’objet architectural se libère de la pesanteur, alors que les volumes portés nous ramènent à une image aérienne d’espace voué à la contemplation panoramique. »
Déclin et renaissance
Après la guerre, le Téléphérique du Salève perd toutefois de sa splendeur, délaissé au profit de la voiture individuelle. Le bâtiment tombe en désuétude et ferme au milieu des années 70 faute de rentabilité. En 1980, un projet de coopération transfrontalière décide de donner un second souffle au bâtiment en modernisant ses infrastructures essentielles sans toutefois porter grande attention à l’ouvrage d’art, l’un des derniers téléphériques autoportés encore en activité, avec celui du Brévent. En 2018, l’édifice est inscrit Monument Historique. Dès 2023, le projet de réhabilitation démarre sous la direction de David et Claudia Devaux, comprenant plusieurs aspects : l’aménagement d’un restaurant dans la salle panoramique, la création d’une extension pour une salle de séminaire et d’une tour escalier desservant les différents niveaux, la modification de la plateforme d’arrivée des cabines et la création de terrasses accessibles au public.
Face à cette transformation et restauration de l’édifice moderniste, les architectes ont su mettre en valeur le bâtiment-pont tout en ouvrant des perspectives sur le paysage. Ils restaurent les façades d’origine en béton brut et réaménagent les espaces extérieurs en écho à la topographie du site, comprenant une piste de parapente, une aire de jeux, une esplanade et une terrasse offrant une vue imprenable sur la montagne.
« Toute la substance encore présente de ce qu’avait fait Braillard doit être protégée afin d’être transmise », précise David Devaux. « Pour y parvenir, nous avons commencé par restaurer les bétons et par les traiter afin d’assurer leur pérennité. Nous avons procédé à un grand décroutage de tous les bétons bruts et au traitement des aciers partout où il le fallait pour obtenir les enrobages adaptés. C’était la priorité en termes de préservation. » Les éléments d’origine sont valorisés : le carrelage en damier de la galerie d’arrivée, les fenêtres, les panneaux publicitaires lumineux d’autrefois ou encore la teinte verte des murs. L’ensemble sobre veut s’inscrire dans la démarche de Braillard. Une boutique, un espace d’exposition, un atelier pour des activités pédagogiques ont notamment vu le jour, ainsi qu’un mur d’escalade de 20 mètres de haut qui rappelle que le Salève fut le terrain d’entraînement des pionniers de l’alpinisme.
La gare basse enfin, reconstruite après la destruction de la structure originale en 1984, est requalifiée pour améliorer les conditions de travail des salariés et l’accueil du public. Un auvent et des espaces paysagers seront créés pour offrir un meilleur confort à l’échelle urbaine.
Une démarche écologique et contemporaine
Si la réhabilitation du Téléphérique du Salève représente une solution aux préoccupations environnementales en tant qu’alternative à la voiture, des systèmes d’énergies renouvelables sont également exploités, panneaux photovoltaïques, chaudières à bois. Une réflexion approfondie sur la gestion des eaux pluviales a permis de développer des systèmes de collecte et d’évacuation, en lien avec les infrastructures de la ville, préservant ainsi la source des Eaux Belles alimentant la ville d’Annemasse voisine.
Maîtrise d’œuvre
DDA Claudia et David Devaux architectes
Pascal Olivier Paysagiste
Designers Unit : Signalétique + scénographie de l’exposition
Louis Choulet : BET Fluides
BATISERF : BET Structure
Maître d’ouvrage : Groupement Local de Coopération Transfrontalière
Surface : 1935 m2 SDP et 4195 m2 d’extérieur
Coût travaux : 12,7 M€
Photographe Manuel Bougot
Diplômé de l’École d’architecture de Versailles puis de Belleville en 1997, David Devaux a fondé l’agence DDA en 1998. Claudia Devaux, diplômée de l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne en 1998 et de l’École de Chaillot en 2005, a rejoint l’agence en 2007 après une expérience en restauration du patrimoine, notamment au Bauhaus à Dessau. Ensemble, ils apportent une double compétence patrimoniale et de transformation et développent de nombreux projets de restauration, de transformation et de création en s’appuyant sur une analyse fine des lieux, de leur histoire et de leur évolution pour comprendre leurs raisons d’être et évaluer leur potentiel à l’aune des enjeux écologiques contemporains. Chaque projet est pensé dans sa relation au contexte naturel et culturel, favorisant un dialogue harmonieux avec l’existant. Parmi les réalisations notables de David et Claudia Devaux et de leur agence DDA, on compte les espaces d’accueil du public de l’Arc-de-Triomphe, du Mont-Saint-Michel, du château comtal de Carcassonne, la restauration du site Eileen Gray – Étoile de mer – Le Corbusier, la restauration de la Péniche Louise-Catherine de Le Corbusier, ou encore la mise en valeur du jardin Serre de la Madone. Projet en cours, la création de la Cité du cinéma d’animation sur le site historique des haras d’Annecy.