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“Ville des possibles, le logement à l’épreuve du temps”

Lundi 15 mai 2023, François Leclercq était le Grand témoin du troisième workshop « Engagés pour la qualité du logement de demain ». A cette occasion l’architecte urbaniste a fait un état des lieux de la fabrique du logement dans un contexte pris en étau « entre densification contestée des villes, artificialisation bientôt impossible et réchauffement climatique ».


Remettre le logement au cœur de la réflexion urbaine

Pour tous les participants à l’Appel à Manifestation d’Intérêt « Engagés pour la qualité du logement de demain », il y a urgence à remettre le logement au cœur de la réflexion urbaine. Ils sont parrainés pour l’occasion par François Leclercq, co-auteur du « Référentiel du logement de qualité » et de la tribune publiée au « Monde » alertant sur la baisse substantielle de la surface des logements sociaux depuis ces cinquante dernières années. L’architecte le répète : « le logement est le constituant essentiel et très majoritaire de la ville, c’est la brique essentielle. La brique est friable, le logement, l’édifice l’est aussi. »

Le rapport, qui fait désormais office de référence pour tout concepteur inquiet de la qualité des logements qu’il va livrer, a une histoire simple : « Pendant la pandémie, tout le monde, y compris les décideurs, a été confronté à la réalité de son domicile. Le plus simple, le plus intime, c’est-à-dire son appartement, sa cuisine, son séjour, sa chambre, une cohabitation qui a pu être compliquée, exagérée, avec sans doute trop de promiscuité. C’est dans ce contexte qu’on a produit, avec Odile Seyler  et Jacques Lucan, notre tribune au « Monde » qui fut très largement repris parce que, à ce moment-là justement, les oreilles étaient attentives » . S’en suivra une collaboration avec Laurent Gérometti, et ce référentiel qui fera écho au rapport Lemas, spécifique au logement social. « La volonté était ici de s’occuper de l’ensemble de la production et à fortiori du collectif privé qui correspond à des chiffres importants, 120 000 logements par an qui subissent depuis des décennies une longue érosion des qualités essentielles d’habitabilité. »

Une longue dégradation

Si les années 80 ont assisté à une montée très forte de toutes les demandes techniques, qualités objectives que sont principalement la thermique et l’acoustique, elles ont vu naître en parallèle une baisse flagrante de la spatialité et des fonctions essentielles : disparition de la cuisine, de l’entrée, des rangements, arrivée de la mono-orientation, épaississement des immeubles pour plomber avec les parking à 15 mètres, apparition des couloirs et des la mono-orientation. « De nombreuses prises de position ont pourtant alerté de cette dégradation, de nombreuses tribunes existaient préalablement, mais les priorités étaient ailleurs. Les attentions étaient à une fascination pour la ville active, la métropolisation, le logement n’était alors qu’un lieu de passage, un lieu finalement réduit dans le temps et dans l’espace. » L’apogée du logement dans les années 70, avec des « moments importants d’utopie, de recherche portés notamment par Renaudie », s’est arrêté. « Des comparaisons européennes montrent que la France devient alors le mauvais élève, tant en ce qui concerne la surface des logements que leurs prolongations extérieures ou la ventilation ». Et de poser la question : « quelle descendance avons-nous aujourd’hui des projets tels le Nemausus ou Mulhouse ? Des projets qui insistaient sur la dimension économique. Là où les trois pièces dans les années 70 étaient de 64 ou 65 m2, ils sont passés à 48m2 aujourd’hui. On est passé du palier au couloir, du traversant au mono-orienté. D’une entrée, un séjour et une cuisine, à la pièce unique. Et à une chambre de 9m2. »
Les causes ? « Le foncier » insiste François Leclercq, « la structure même de la production du logement où la rentabilité financière à tous les niveaux a primé. Il faut que chacun joue son rôle et en premier lieu les pouvoirs publics comme régulateurs, de la même manière que les règlements techniques sont très imposés et respectés. Comment peut-on imposer des surfaces qui aujourd’hui sont totalement délirantes ?».


Jacques-Lucan-Habiter

Le temps des recommandations

Le référentiel Leclercq-Girometti pointe trois thèmes essentiels. Tout d’abord le volume, sous-entendu les surfaces, la hauteur sous plancher, le rapport à l’extérieur, les prolongations nécessaires, les orientations, l’éclairement. Vient ensuite la façon dont la chaleur peut être combattue, par la hauteur sous plafond et par la traversabilité. Et enfin la modularité : « un logement n’est qu’une photo à un instant T d’un usage, sa transformabilité est absolument essentielle ». Face à ses préoccupations, le rapport propose différentsleviers. La diffusion de l’architecture, l’exemplarité, la preuve par exemple. Faille t il pour cela adapter les lois, « assujettir par exemple les projets financés par le Pinel à ces recommandations » (le Pinel étant majoritaire dans la production de collectif à hauteur de 120 000 logements par an). Développer les chartes de qualité ayant l’avantage «  d’interpeler les élus, de parler du territoire, du climat, du social, de la culture locale ». De la nécessaire prise compte du politique. 

Organiser la pénurie du foncier

Une nouvelle relation à la densité est aujourd’hui le maître mot : « le concept de la ville déjà construite est en train de faire son chemin et la densification comme une fonction linéaire n’a plus cours. Or si on met en relation nos villes trop chaudes, denses, mal vécues, avec le « 0 artificialisation net », on arrive aujourd’hui à une équation insoluble : la ville intensive est contestée et la ville extensive est impossible ». Pourtant les demandes sont là, 300 000 logements nécessaires par an, dans un contexte économique très compliqué.« Dans ce contexte d’injonctions contradictoires : construire mais ne pas densifier, ne pas s’étendre, considérer les besoins importants de logements, d’activités nouvelles, de nature, la question est désormais d’organiser la pénurie du foncier ».
En ville, les possibilités existent mais sont limitées : une saturation en hauteur, un sol devant être libéré. 

Des solutions

François Leclercq énonce les pistes. Un levier déjà très exploité, celui du bureau, modèle en crise supplanté par le télétravail : « faire que tout nouveau bureau construit soit dans une transformabilité en logement, rendre la transformation obligatoire après plusieurs années de vacances ». Les surélévations, elles-aussi largement exploitées et limitées. La réglementation face à l’importance des locations saisonnières et de la sous-occupation. L’architecte revient alors sur la ressource essentielle du développement des villes dans cette option de pénurie : le principe de desserrement, « un desserrement pour retrouver le sol naturel, une reconquête des territoires périphériques. Dans le Grand Paris, le Grand Marseille, tout doit être inventé à travers cette nouvelle tendance ». Il indique trois gisements opportuns. Le commerce à l’origine de la ville émergente, la «  ville moche » correspondant en France à 1500 zones répertoriées, des milliers de kilomètres carrés. Un modèle en crise, avec 60% de surface déficitaire. Les centres commerciaux très largement rattrapés par la ville sont aujourd’hui desservis par des lignes de transport lourd : « Théoriser la renaturation, la transformabilité de ces zones est primordial ». Second gisement, le pavillonnaire, la maison individuelle qui représente 80% de la surface de l’habitation en Île-de-France et ne représente que 25% du parc de logements. « Il y a d’autres manières de construire, les surélévations, les matériaux, un logement qui peut en faire deux. Il faut ici une certaine libéralisation des règles. » Dernier gisement, essentiel ici encore, celui des ZUP : « il faut continuer de les relier, les densifier, les réinventer, reconsidérer que ce logement-là était plutôt intéressant, revenir sur l’ouvrage ».

La pénurie du foncier définit le sol comme un bien rare et précieux. « Il faut penser tout aménagement en fonction de cette rareté, mais aussi de son activation potentielle. Considérer le logement comme un espace de liberté, suffisamment grand et généreux pour accueillir, pour s’adapter à toutes les situations et à tous les usages. Et considérer le sol comme un espace commun actif. Revenir aux fondamentaux de la ville : le sol et le logis. Il en va du même plaisir d’habiter, sa ville et son logis ». 


Pour consulter le Référentiel :

https://www.leclercqassocies.fr/fr/projets-d-architecture/referentiel-du-logement-de-qualite-3

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