Coédité par Parenthèses et la Philharmonie de Paris, le livre Les espaces de la musique d’Antoine Pecqueur explore les liens entre architecture et musique à travers l’analyse des lieux où l’architecte mélomane et le musicien archi-fan se sentent comme des notes sur leur portée : les salles de concert et les opéras.
Les espaces de la musique en vente ici !
C’est « une fusion entre l’auditif et le visuel » que propose Antoine Pecqueur, journaliste (Mezzo, Classica, France Musique) et bassoniste, dans son beau-livre Les espaces de la musique – Architecture des salles de concert et des opéras. Si Goethe assimilait l’architecture à « une musique muette », l’auteur du présent ouvrage associe la construction d’une salle de musique au rêve absolu d’un grand nombre d’architectes. Rien d’étonnant à cela si l’on explore le riche réseau de liens – qu’a contribué à révéler le compositeur et architecte Iannis Xenakis dont les archives ont également été publiées chez Parenthèses – qui s’est tissé, depuis le XVIIe siècle, entre les deux disciplines. C’est d’ailleurs l’enjeu de la première partie des Espaces de la musique qui offre un historique de ce dialogue fécond, mais également plus spécifiquement de l’architecture des salles de concert symphonique à travers le monde, de l’Angleterre au Japon, et de celle des opéras, de l’Italie à l’Afrique. De nouveaux marchés s’ouvrent en effet aux architectes, allant de pair avec l’intérêt croissant que cultivent les pays émergeants pour la musique classique, comme l’évoquait l’auteur dans l’émission « Sous la couverture » du 27 février 2016 sur France Musique.
Salle de concert pneumatique
Le panorama ne s’arrête pas là. Antoine Pecqueur analyse les tendances et les perspectives d’avenir de ces lieux que l’on continue de rénover et de construire en répondant à des exigences, esthétiques comme techniques, toujours plus affirmées, et à des défis sans cesse renouvelés, tels que ceux induits par les préoccupations environnementales, voire par des catastrophes naturelles. Ainsi de la salle gonflable (et donc mobile) Ark Nova, imaginée par Anish Kapoor et Arata Isozaki pour contribuer à rétablir la vie culturelle dans la région japonaise d’Higashi Nihon, sinistrée par le tsunami de 2011.
La science du son
Autre casse-tête, directement induit par la nature-même de l’espace musical : la qualité de l’acoustique, cette « science bizarre » selon Charles Garnier. Car une salle destinée à accueillir les meilleurs interprètes et à faire résonner les plus somptueux airs, n’est pas l’œuvre d’un seul homme. L’architecte, le scénographe (auquel est rendu un bref hommage dans le livre et dont l’oubli trop fréquent est souligné) et l’acousticien se complètent, parfois non sans difficulté. Du moins est-ce ainsi aujourd’hui, car l’architecte jonglait autrefois tant bien que mal avec cette double casquette, dont la seconde avait été acquise empiriquement. Les « maçons du volume acoustique » (Rudy Ricciotti) professionnels sont en effet apparus au début du XXe siècle, et portent aujourd’hui deux visions opposées de la meilleure acoustique : celle d’une salle en « boîte à chaussures » versus celle d’une salle « en vignoble ». Et Pierre Boulez de réconcilier les deux en affirmant, dans un entretien daté de 2011 qui clôture la première séquence du livre, que « l’avenir est aux salles modulables ».
Chalet en bois ou diamant de verre

La Grange au Lac (Evian), Patrick Bouchain, concert du Quatuor Modigliani en 2014.
Arrivé à ce stade de lecture, les bases sont acquises pour apprécier la sélection des trente salles de musique visitées par Antoine Pecqueur à travers le monde. On y retrouvera l’emblématique Walt Disney Concert Hall de Frank Gehry (Los Angeles) comme l’opéra futuriste de Zaha Hadid à Guangzhou (et son étincelante salle couleur or), la récente Philharmonie de Paris de Jean Nouvel ou encore le « diamant de béton et de verre » de Rem Koolhaas (la Casa da musica à Porto). Ne donnant pas exclusivement dans le spectaculaire, l’auteur s’est également intéressé à des projets plus classiques et datés (mais ayant bien vieilli !), tels que l’Arsenal de Metz de Ricardo Bofill, et moins onéreux, comme l’étonnante Grange au Lac de Patrick Bouchain en bois de bouleau. Moins onéreux mais pas moins prestigieux, puisque celle-ci a été conçue et édifiée comme un cadeau d’Antoine Riboud (président de BSN, ancêtre de Danone) au grand Rostropovitch. Un voyage autour du monde, ponctué d’une riche iconographie (composée de photos et de plans) et d’entretiens accessibles et qualitatifs, qui comblera les adeptes de Renzo Piano comme ceux d’Anton Bruckner.
Anastasia Altmayer
Les espaces de la musique – Architecture des salles de concert et des opéras, Antoine Pecqueur, coédition Parenthèses/Philharmonie de Paris, Marseille/Paris, janvier 2016, 288 p., 24×28 cm, 36€. ISBN 978-2-86364-307-5.